De la politique spectacle à la responsabilité citoyenne

Publié le par Garrigues et Sentiers

En octobre 2018, Raphaël Glucksmann a fondé, avec l’écologiste Claire Nouviale et l’économiste Thomas Pourcher un nouveau mouvement politique : Place Publique. Le parti socialiste vient de passer un accord avec ce nouveau parti pour constituer une liste commune pour les prochaines élections européennes dont Raphaël Glucksmann sera la tête de liste. De 2008 à 2013, il a été conseiller du président de la Géorgie pour coordonner les dossiers qui avaient trait aux accords d’association avec l’Union Européenne.

 

Questionné par le journal Le Monde sur le pourquoi de son retour en France en 2014 et ses intentions, il déclarait : « On est en train de perdre la bataille culturelle. Il faut la mener et arrêter de parcourir le monde en se disant que la politique est tragique ailleurs. Elle est devenue tragique ici. Mon immense erreur de lecture, largement liée à la classe sociale favorisée dans lequel j’ai grandi, était de penser qu’on allait être chiraco-juppéiste pour toujours. J’ai sous-estimé la violence de la déstructuration de notre société. Ce n’est pas le statu quo qu’on allait avoir, mais le chaos et le risque de perdre la démocratie » (1).

 

Pour Claire Nouviale, l’enjeu de cette liste européenne est de « lever une armée de citoyens contre une globalisation qui a profité à quelques élites qui ont organisé la fuite de leurs responsabilités par la dérégulation et la croissance des inégalités » (2). Mettre au cœur du projet politique européen la responsabilité de chaque citoyen était le projet de ce grand Européen que fut Vaclav Havel. Dans la prison où l’enfermait régulièrement le régime communiste tchécoslovaque, il découvre cette importance politique première de la responsabilité comme il l’explique dans une des lettres qu’il était autorisé d’écrire à sa femme : « L’idée de Levinas que la responsabilité établit une situation éthique asymétrique et que cela ne peut pas être prêché, mais seulement supporté, correspond en tous points à mon expérience et à mon opinion. Autrement dit, je suis responsable de l’état du monde. J’ajouterai même que si l’on a des exigences étonnamment lourdes vis-à-vis des autres, c’est généralement le signe infaillible que l’on n’est pas prêt à les assumer soi-même (…) J’ai souvent posé ce problème dans mes pièces de théâtre : tu te souviens peut-être que les discours éthiques les plus cohérents sont souvent prononcées par les personnages les plus faibles et par les plus fieffés coquins » (3).

 

Le spectacle de joutes oratoires télévisées ne doit pas nous faire oublier que la démocratie ne vit que par un travail permanent de formation, d’échange et de prise de responsabilité de chaque citoyen. Comme l’écrit Emmanuel Levinas, cela suppose une longue patience et un grand désintéressement : « L’œuvre n’est possible que dans la patience, laquelle poussée à bout signifie, pour l’acteur politique, à renoncer à être le contemporain du triomphe de son œuvre » (4).

 

Bernard Ginisty

 

(1) Raphaël GLUCKSMANN, Il ne faut pas laisser ses origines devenir un destin. Entretien dans le journal Le Monde du 6-7 janvier 2019, p. 19.

(2) Claire NOUVIALE : Entretien dans le journal Le Monde du 16 mars 2019, p. 8.

(3) Vaclav HAVEL, Lettres à Olga (3 avril 1982), éditions de l’Aube, 1990, p. 340-34.

(4) Emmanuel LEVINAS, Humanisme de l’autre homme, éditions Fata Morgana, 1972, p. 42.

Publié dans Réflexions en chemin

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