Sodome, le Vatican ?
Le livre Sodoma de Frédéric Martel défraie la chronique. Regardant une émission de télévision dans laquelle l’auteur était invité, mon premier sentiment a été la colère. Voici un livre traduit déjà en huit langues qui, sous couvert de s’intéresser à l’homosexualité, fournit une enquête détaillée sur les mœurs (dissolues) du Vatican. « Tous pourris », évidemment, et l’amalgame entre les catholiques et ce monde est sous-jacent. C’est A. Finkelkraut, assistant à ce débat et semblant d’ailleurs mal à l’aise, qui a eu le seul mot audible en remarquant que les catholiques n’étaient pas tous le Vatican. Est-ce parce que l’auteur fait partie du sérail ? Au-delà de la gourmandise apparente de certains, le débat brillait par les imprécisions et l’absence totale de questions qu’on ne pouvait pas ne pas poser ; débat de faux-culs, il faut le dire. Défendre l’Église n’est pas politiquement correct, il est tellement plus facile de prendre pour argent comptant toute critique des catholiques et surtout de la hiérarchie !
D’abord l’auteur, qui se cache derrière les témoignages : « Il y a 80 % d’homosexuels au Vatican », dit-il, « Comment les avez-vous dénombrés ? », « Mais je ne l’affirme pas, on me l’a dit, c’est un témoignage »… Je me moque de savoir les proportions d’homosexuels, personnellement hétérosexuel impénitent j’ai nombre d’amis homosexuels, cela ne me pose aucun problème, l’homosexualité est un état de fait qui ne peut susciter aucun jugement, positif ou négatif. Mais sous cette affirmation pointait, sans le dire, même en s’en défendant de façon subliminale, l’idée que tous ces gens étaient membres d’un gigantesque lupanar, qui d’ailleurs a été évoqué mais sans préciser combien de personnes il concernait. On pourrait donner nombre d’autres exemples de ces affirmations cachées derrière des témoignages et permettant de tout salir.
Les journalistes auraient pu demander le but recherché ? Il n’est pas banal pour un Français de passer des mois à creuser les turpitudes d’une administration étrangère, même religieuse. Faire du buzz et de l’argent ? Régler des comptes ? Quels comptes ? On voit quel peut être le résultat, on aimerait savoir ce qui a mené l’auteur à ce travail de sape, il en va de la crédibilité de son œuvre. On n’attaque plus l’institution sur sa doctrine, ses prises de position, mais sur l’hypocrisie dont on l’affuble. On la déconsidère bien mieux. Ils auraient pu demander comment un journaliste français a pu, dans un monde réputé pour son opacité, obtenir tellement de renseignements jusque dans le lit de ces éminences. Bref ils auraient pu s’interroger et interroger l’auteur sur sa crédibilité, comment il a recoupé ses informations, comment il a géré un tel flot de renseignements. Cela aurait permis une mise en perspective, éclairer certains jugements à l’emporte-pièces. Les journalistes qui ont interrogé l’auteur n’ont pas fait le b-a ba de leur travail, on peut se demander pourquoi.
Reste que ce livre soulève la question des mœurs au sein de l’institution, on ne peut l’occulter, plus, il faut l’affronter.
Colère contre le Vatican. Colère contre des gens qui pratiquent le contraire de ce qu’ils prêchent en toute quiétude (on peut accepter toute entorse ou faute, on ne peut tolérer l’installation dans l’hypocrisie). On ne peut se contenter de dire que c’est à cause du célibat des prêtres (qui est bien une question, mais tout ne s’y ramène pas) ou de l’homophobie ambiante en Italie. On doit reprocher aux instances vaticanes d’avoir laissé se développer une pourriture, probablement pour ne pas dévoiler des scandales qui porteraient atteinte à l’institution. Cela est aussi un sujet de colère. Colère plus grave que celle décrite plus haut contre les journalistes, le travail des journalistes n’est pas le cœur du problème, leur attitude un épiphénomène.
Et maintenant ? Quid des catholiques de base ?
D’abord notre colère est légitime, nous condamnons des faits. Mais ne jugeons pas les hommes. Ces dérives, ces hypocrisies, nous renvoient à nous-mêmes. « Qui suis-je pour juger ? » avait dit le pape (dans un autre contexte), tout en condamnant des faits, des attitudes. Nous sommes déjà tellement mauvais juges vis-à-vis de nous, comment juger les autres ? « Soyez miséricordieux » demande l’évangile de ce dimanche. « Malheur à celui par qui le scandale arrive », le scandale est insupportable, il met dans l’incapacité d’entendre la Parole, donc « malheur à celui », mais il produit ce malheur, ce n’est pas à nous de le distribuer.
Travaillons chacun à notre place. Ce n’est pas parce que tel ou tel dévie, qu’il soit chrétien de base ou hiérarque, que nous perdons la possibilité de vivre notre foi ici et maintenant, et de la mettre en pratique. Ne nous laissons pas aveugler, ne cherchons pas des excuses à nos démissions.
Il semble nécessaire, il est nécessaire, de s’attaquer à l’hypertrophie de l’institution Église. Le Vatican est devenu une vaste bureaucratie qui, pour l’essentiel, n’a rien à voir avec l’ Évangile. Jean XIII s’en plaignait déjà, puis tous ses successeurs. Il faut réformer tout cela, couper les branches inutiles, renoncer à diriger tout depuis Rome, cela est dit depuis bien longtemps (récemment encore le pape condamnait ce cléricalisme qui détruit sur son passage). Et si c’est impossible, il faut alors démolir tout cela, c’est urgent. Trouvera-t-on à la tête des gens assez courageux et capables pour faire ce travail ? Il en va de l’avenir de l’institution. Le pape actuel se débat, qui l’épaulera ? Que font les évêques du monde entier pour l’épauler, seul contre son administration vaticane il est démuni. Quand les évêques du monde feront-ils un putsch, diront-ils « stop » ? Ils ont en charge l’unité de l’Église, sa communion, c’est-à-dire de lui permettre de s’épanouir dans tous ses rameaux vivants. La collégialité n’est pas seulement pour promulguer des décrets !
Enfin il faut se poser la question des institutions. Toute institution, qu’elle soit religieuse ou profane, dérive automatiquement vers sa propre conservation, un travail à son propre service et sa survie. L’institution Église n’est pas sacrée, il faut constamment la remettre en cause, la critiquer (ce qui n’est pas uniquement négatif mais un jugement éclairé pour avancer), la recadrer. Non pas pour la condamner, mais au contraire pour lui permettre d’effectuer le travail pour lequel elle existe et lui éviter toutes les dérives qui l’assaillent.
Faut-il espérer ? Bien sûr, contre toute espérance. Espérer que l’institution se réformera ? Je ne sais. Mais la Parole est infiniment au-dessus, mon espérance est que les hommes pourront toujours agir dans leurs vies, dans la société, afin que la Parole puisse les atteindre et qu’ils puissent y répondre.
Marc Durand