« Ne vous faites pas appeler « Maître », « Père » ou « Docteur » (Évangile de Matthieu)
Dimanche 24 février s’est clôturée au Vatican la rencontre des présidents des commissions épiscopales sur les abus sexuels sur mineurs. Dès le début, le Pape François a analysé cette question comme le symptôme d’une dérive au sein de l’Église catholique. Le 24 août dernier il adressait une Lettre au peuple de Dieu dans laquelle il mettait en cause «une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme » (1).
Dans un entretien dans le journal La Croix, le dominicain Gilles Berceville qui enseigne la théologie spirituelle à l’Institut catholique de Paris déclarait ceci : « L’agression commise par un prêtre n’est pas uniquement sexuelle. Elle est souvent le symptôme qui révèle quelque chose de plus profond : l’abus spirituel. (…) Lorsque l’abuseur agit au nom d’un principe absolu, que la personne maltraitée elle-même reconnaît comme absolu (Dieu, l’Amour…), il vient ébranler les fondements mêmes de la psyché. Ce qui structure l’esprit humain, lui donne sa cohérence et lui permet de se confier est atteint. Or, sans confiance, on est mort (…) Le prêtre abuseur détourne les fondamentaux de la confiance à son propre usage. C’est la pire des manipulations, l’emprise spirituelle »(2)
Sœur Geneviève Medevielle, professeur honoraire de théologie morale à l’Institut catholique de Paris, accompagne depuis de nombreuses années des religieuses dont certaines ont été abusées par des clercs. « Les abus sexuels des religieuses par des prêtres ont lieu la plupart du temps dans une relation qui est, au départ, spirituelle. C’est parce qu’il est le confesseur, l’aumônier, l’évêque… Quand un confesseur vient prêcher une retraite dans une communauté, il peut jouer de sa séduction intellectuelle, spirituelle, surtout sur des jeunes encore peu formées. Il s’agit d’abord d’une emprise psychologique ou spirituelle. La jeune religieuse va également idéaliser le prêtre qu’on lui donne comme accompagnateur spirituel. Si elle tombe sur un prédateur, il prendra le meilleur de la relation spirituelle pour faire d’elle une proie sexuelle ». Et elle poursuit : « Il est aussi de la responsabilité des formatrices et des supérieures de savoir à qui elles confient leurs sœurs, de ne pas être naïves face aux phénomènes d’adulation de tels prêtres. De grandes vedettes dans l’Église se sont révélées être des prédateurs. Le pape dénonce une Église cléricale et nous demande de changer notre image du prêtre, de le sortir du registre du sacré »(3).
Peut-être faut-il alors s’interroger sur l’ambiguïté d’expressions telles que « père spirituel » ou « directeur de conscience » si courantes dans le catholicisme. Frère Roger, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, avait tout à fait conscience du danger lorsqu’il écrivait : « Accueillir avec mes frères tant de jeunes à Taizé, c’est avant tout être pour eux des hommes d’écoute, jamais des maîtres spirituels. Qui s’érigerait en maître pourrait bien entrer dans cette prétention spirituelle qui est la mort de l’âme. Oui, se refuser à capter quiconque pour soi-même. (…) Souvent nous ne connaissons pas grand-chose du contexte dans lequel se déroule l’existence de ceux qui se confient. De toute manière, leur répondre par des conseils ou par des catégoriques « il faut » mènerait sur des chemins de traverse. Les écouter, pour déblayer le terrain et préparer en eux les chemins du Christ » (4).
C’est d’ailleurs le ferme conseil de Jésus à ses disciples : « Ne vous faites pas appeler " Maître ", car vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères. N’appelez personne sur la terre votre " Père ", car vous n’en avez qu’un seul, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler" Docteur ", car vous n’avez qu’un seul Docteur, le Christ »(Mt 23, 8-10).