Meilleurs vœux
À ces vœux de Marc Durand, nous joignons, amis lecteurs, ceux de notre Comité de rédaction.
Merci de votre fidélité : vous nous avez rendu visite sur ce blog près de 800.000 fois depuis sa création en décembre 2005 et près de 110.000 fois cette seule année.
« L’an que ven », comme on dit en Provence, nous espérons vous retrouver plus souvent encore sur les sentiers de nos garrigues !
G & S
Pour les chrétiens, le début de l’année serait le premier dimanche de l’Avent. Mais l’Avent est une préparation à l’année à venir. Le début doit donc être reporté à la fête de Noël, annonce du salut, du don de Dieu, qui nous lance dans la vie en éclairant nos chemins. La huitaine (l’octave) de cette fête se termine par le vrai commencement, quand les vapeurs d’alcool ou de cadeaux se sont un peu dissipées, le 1er janvier. C’était la fête de la circoncision jusqu’à une réforme malencontreuse (à mon sens) de Paul VI en 1974 (1). La circoncision dit la judéité de Jésus, comme le rappelle René Guyon dans son article, elle inscrit Jésus dans un groupe humain, il n’est pas un OVNI planant au-dessus des eaux. C’est dans et au travers de ce groupe qu’il va agir, nous appeler, nous sauver. Les choses sérieuses peuvent commencer, et pour nous l’année qui vient.
Peut-être pourrions-nous commencer par des remercîments pour tous les biens que nous avons reçus pendant l’année écoulée. Il est bon de voir les dons, les reconnaître, en savoir gré. Nous sommes tous des débiteurs et non des Prométhée. Le malheur nous a aussi atteints, maladies, décès, accidents de la vie, souffrances diverses. Qu’en faire ? Les déchirements, les souffrances restent, allons-nous remercier ? Ne soyons pas angéliques, ces fractures demeurent en nous. Mais peut-être pouvons-nous essayer de les dépasser. L’espérance chrétienne nous dit qu’elles ne sont pas le tout de nos vies, que nous sommes appelés à ne pas nous laisser enfermer dans notre peine, appel qui vient de l’amour annoncé à Noël. C’est difficile, c’est douloureux, mais c’est nécessaire pour continuer à avancer sur notre chemin. Bernanos a écrit que la plus haute forme de l’héroïsme de l’âme est le désespoir surmonté.
Puis nous devons penser à l’année qui vient, c’est même l’essentiel en ce premier janvier. Année de tous les possibles, toujours, pour nos vies personnelles, si nous sommes à l’écoute, renonçant à nos aveuglements, à nos haines ou rancœurs, à nos petitesses. Tout un programme ! Année de tous les possibles pour ce monde dans lequel nous sommes plongés et dont nous avons mission de faire le Royaume. Détaillons un peu.
Les « Gilets Jaunes ». Mouvement informe mais qui dit beaucoup. Nous pouvons nous bloquer parce qu’ils ne sont pas parfaits, parce que tout et son contraire se dit, parce qu’ils mettent ensemble des gens d’extrême droite et d’extrême gauche, des employés et des petits patrons, des artisans et des commerçants, au milieu d’un marais indéfinissable, parce qu’ils gênent l’économie (2). On peut les réduire aux violences qui les accompagnent et attendre qu’ils aient un leader charismatique qui ramasse la mise, car on ne peut pas parler « avec ces gens-là qui ne savent pas se structurer ». Nous sommes aussi capables de constater leur engagement dans des dialogues impossibles depuis des décennies, tous ces gens parlant ensemble, découvrant ensemble que ceux d’en face vivent des mêmes souffrances, apprenant à dépasser leurs premières demandes forcément égoïstes, apprenant sur le tas ce qui peut faire société alors que depuis fort longtemps on leur a inculqué l’individualisme forcené et l’abêtissement télévisé, ou autre (3). Nous pouvons avoir peur d’un peuple qui parle, de lieux où les gens se parlent. C’est évidemment risqué, mais il est possible aussi nous de nous réjouir tout en sachant les risques. Serons-nous capables d’accepter les risques ou devrons-nous enterrer les velléités de sortir de nos ronrons ?
Le grand débat national. Une occasion de réfléchir avec les autres, avec le « tout-venant », à l’organisation de notre société. Une occasion de construire un pays dans lequel les gouvernants respectent les gouvernés, savent les écouter, travaillent à leur service. Un pays dans lequel le terme de « ministre » reprendrait son sens (terme qui vient de « minus » qui signifie « serviteur »). Les gouvernants ne sont pas les seuls en cause, il nous faut retrouver des corps intermédiaires crédibles, efficaces, absolument nécessaires à l’exercice de la démocratie. À nous d’être présents dans ce débat, pas seulement pour donner nos points de vue, mais aussi pour écouter les autres, surtout ceux que nous avons peu de chances de rencontrer dans nos vies ordinaires.
Année fondamentale pour l’écologie. La maison brûle et nous regardons derrière ! La mutation écologique est loin d’être simple ! Les « il n’y a qu’à » ne font pas des solutions. Cette mutation, si elle se produit enfin, ne se fera pas sans mal ni sans souffrances. Sommes-nous prêts à nous y atteler ? Et donc à perdre certains de nos conforts, à nous mouiller dans des combats inévitables tant il y a d’intérêts contraires et très puissants ? Nous pouvons aussi baisser les bras, combien disaient auparavant que c’était une utopie ridicule et maintenant qu’on n’y peut plus rien ! Baisser les bras en pensant à nos enfants et petits-enfants ? Car cela est concret, les « générations futures » ne nous troublaient pas, tellement elles étaient lointaines. Elles sont maintenant faites de ceux que nous connaissons, qui sont déjà nés, c’est plus difficile à ignorer !
Enfin les élections européennes. Quelle Europe voulons-nous ? La pente naturelle est celle de l’ignorance de l’écologie, de la toute puissance de la finance, de l’endormissement des peuples. Et si nous aidions la finance à sortir de son cercle infernal qui ne sert qu’elle, c’est-à-dire personne ou une infime part de l’humanité, pour qu’elle soit au service des peuples ? Si nous faisions pression pour que les décisions soient prises par des politiques responsables et non des marionnettes des lobbies, qui prennent au sérieux les désirs des peuples, et même les précèdent quand ceux-ci ne sont pas assez éclairés ?
On méprise les demandes populaires parce qu’on dit les peuples non formés, ne comprenant rien à l’économie, etc. Peut-être pourrait-on les aider à se former, à développer leur culture (autrefois il existait les mouvements « d’éducation populaire » qui ont donné nombre de dirigeants responsables), les éclairer sur les enjeux des choix ? Suivant l’Europe que l’on choisira on aura ou pas des services publics de qualité, une mutation écologique, une organisation économique au service des citoyens... L’enjeu est colossal.
Alors en ce premier janvier, réjouissons-nous d’avoir tant de cartes en mains, d’occasions d’agir. Que les chrétiens n’oublient pas que la construction du monde est semblable à celle du Royaume, tout comme l’amour de Dieu est semblable à celui du prochain. Ils ne peuvent rester sur le bord de la route.
Comme l’écrit si bien Didier Travier, à nous de « croire en la beauté du monde en dépit de la souffrance, croire en la valeur de la personne en dépit du mal, croire en la puissance de la vie en dépit de la mort, croire en l’avenir en dépit du présent : à chaque fois une même disposition, celle de la confiance, autre nom de la foi » (4).
Marc Durand
1 - René Guyon, « La circoncision : une alliance cachée par l’Eglise », Garrigues & Sentiers, 1er janvier 2014.
2 – On parle beaucoup des pertes financières dues à ce mouvement, et elles sont réelles, comme dans le cas de bien des grèves ou mouvements de protestation. On peut comparer les « 4 milliards perdus », montant fort discutable parce que ne tenant pas compte du report des achats et de la production sur la période à venir, et les 140 milliards perdus (calculés à la louche) par la Bourse en France pendant la même période, pour des raisons de spéculation essentiellement !
3 – La télévision n’est pas le seul facteur d’abêtissement, en de nombreux endroits l’école ne répond plus à sa mission éducatrice pour quantité de raisons, les syndicats et nombre d’associations sont exsangues alors qu’ils étaient des écoles de formation, tout cela dans l’indifférence générale– et principalement celle des pouvoirs publics.
4 - Didier Travier, Une confiance sans nom, éd. Ampelos, 2017.