Les chemins d’un renouveau des Églises
Dans la crise profonde que traverse l’Église catholique, les responsables religieux invitent à nous ressourcer dans l’Évangile. Depuis vingt siècles, le message du Christ s’appelle un Évangile, c’est-à-dire une « bonne nouvelle ». Les institutions ecclésiastiques qui ont assuré cette transmission ont trop souvent transformé ce qui était une bonne nouvelle en une « bonne réponse » à des catéchismes et une bonne adaptation à des organisations. Où se situe la différence entre ces deux expressions ? La bonne réponse est le reflet d’une question. Elle ne prend sens que par rapport aux présupposés culturels et institutionnels que suppose la question. Une « bonne nouvelle » nous ouvre un tout autre champ. Elle est par définition inattendue, déstabilisante, peut-être même scandaleuse. Ainsi, l’apôtre Paul définit la vie et la mort de Jésus comme un « scandale » pour la loi juive et une « folie » pour la sagesse grecque.
Jésus nous demande de rester veilleur de l’inattendu, de ne jamais enfermer quelqu’un, soi-même ou un autre, dans un jugement définitif. À tout moment, notre bonne conscience comme d’ailleurs notre culpabilité peuvent être bousculées par l’accueil d’une « bonne nouvelle ». Cette grâce nous évite de passer notre vie à tourner en rond dans l’espace étroit de nos théories, de nos morales, de nos systèmes de sécurité. Le Christ n’est en rien le théoricien d’une méthode spirituelle ou l’organisateur d’une structure religieuse. Sa trajectoire bouscule tous les états de vie et les relativise au nom de la conscience de sa filiation. Il meurt jeune et sa vie publique n’excède pas trois ans. Il se définit comme « Pâques », comme « passage » et, si l’on risque ce jeu de mots, « pas sage ». De son vivant, ses disciples n’ont pas compris grand-chose perdus qu’ils étaient dans l’attente d’un messie politico-religieux. « C’est votre intérêt que je parte car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à̀ vous. » (Jn 16, 7.) Loin de favoriser la fascination du Maître, le Christ lie le surgissement de l’Esprit en l’homme à sa propre disparition. Au lieu de regarder le nez pointé vers le ciel, comme les disciples le jour de l’Ascension, l’homme est renvoyé à ses frères (cf. Act 1, 11).
Dès lors, l’amour agissant devient la nouvelle frontière. La tranquille possession de la loi par les clercs et de l’intériorité par les sages éclate. L’homme est désormais confronté aux excès de la grâce et du refus. Tous les pouvoirs vont tenter de colmater désespérément cette brèche. L’Évangile de Jean témoigne de ces scissions permanentes provoquées par les paroles de Jésus et de la course-poursuite des clercs et des chefs pour l’arrêter. Et lorsqu’enfin ils l’ont saisi, condamné, cloué, enterré, le « passage » de Pâques surgit dans la conscience des disciples et se répand dans une Pentecôte aux dimensions du monde. Cet arrachement final au Dieu des religions et des nations s’accomplit dans l’abandon confiant au Père source de toute naissance et renaissance. L’Évangile nous dit : Dieu est un enfant dans une crèche, Dieu est présent dans le pain partagé, Dieu habite le plus humble des hommes. C’est dire à quel point Dieu, à travers le Christ, « se défroque » des oripeaux de puissance et de gloire. Par quelle aberration tant de ses disciples se sont « froqués » de pouvoir, de dogmes, de moralisme, de richesses, de machisme ?
À l’heure où de nombreux scandales éclaboussent l’Église catholique, il est plus nécessaire que jamais d’entendre dans toute sa nouveauté la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Elle invite chacun à vivre de nouveaux «passages » qui seront de nouvelles naissances pour eux-mêmes et pour les Églises. C’est ce que suggère la sociologue des religions, Danièle Hervieu-Léger : « Le “système clérical”, auquel on impute désormais les dérives gravissimes qui explosent au grand jour, n’est pas réformable. Or c’est ce système même qu’il faut déconstruire si l’on veut inventer, si c’est possible, une autre manière de faire Église. Celle-ci ne peut plus séparer la redéfinition radicale du sacerdoce comme service de la communauté et la reconnaissance pleine et entière de l’égalité des femmes dans toutes les dimensions, y compris sacramentaires, de la vie de l’Église » (1).
Bernard Ginisty
(1) Cité dans l’article d’Olivier Pascal-Moussellard :Pédophilie dans l’Église : C’est tout le système clérical qu’il faut déconstruire, site Télérama soirée du 12 novembre 2018.