L’impôt fonde le contrat social

Publié le par Garrigues et Sentiers

Bernard Ginisty a clos sa chronique De l’impasse individualiste au réveil citoyen par un extrait d’un article qu’Emmanuel Macron, alors simple « jeune énarque prometteur » avait publié dans la revue Esprit en 2011 : « Faire du débat fiscal un débat technique, d’analyse purement rationnelle et mathématique, c'est déjà prendre un biais idéologique en décidant que l’impôt n’est pas politique et n’a rien à voir avec un contrat social, une volonté d’être dans la cité. » Heureuse citation, pour reniée qu'elle soit par son auteur ! Surtout pour l'affirmation de cette réalité politique et civique essentielle qui est devenue l'objet de la plus redoutable négation de la part des nantis : les contributions publiques forment le tissu même du contrat social, et si la nation est un « plébiscite quotidien », l'impôt y tient lieu de bulletin de vote.


On peut, par un misérable non-sens, s'en prendre aux « cocaïnomanes de la dépense publique », mais rien ne peut entamer le fait qu'une nation s'agrège par les moyens qu'elle met en commun pour assurer la protection de ses membres. C'est du besoin de cette protection que naît l'idée de faire nation – la France, où l'État a fait la nation pour s'être affirmé comme le protecteur le plus sûr des villes, des campagnes et des provinces, en fournit le plus incontestable exemple. 


A contrario, la dénonciation systématique de l'impôt – si pour le peuple, elle est amplement justifiée par l'injustice du système fiscal qui ne cesse de s’aggraver – est de la part des castes privilégiées, et de leur porte-voix, la marque d'un aveuglement si extrême qu'il désarme l'observateur : cumuler des mesures qui creusent les inégalités devant les contributions publiques et la rétraction continue des services de l'État et de leurs moyens, conduit nécessairement au délitement de la nation à coups de fractures sociales accumulées. Qui toutes ont pour première origine l'impuissance que l'État et les services publics s’infligent à eux-mêmes. 


La vraie question est bien de savoir si les ressources produites doivent s'employer dans les « Monopoly » des business en tous genres, ou d'abord s'investir dans la protection que la nation doit à ses citoyens et sans laquelle sa légitimité dépérit. 


Le débat sur la taxation des carburants souligne, si besoin est, l'incohérence des politiques fiscales poursuivies : le scandale n'est pas dans une taxation écologique, mais dans l'injustice effarante qui taxe au même niveau le PDG du CAC 40 – lequel, au demeurant, circule au minimum 5 jours sur 7 dans une voiture de fonction – et la caissière d'hypermarché à temps partiel-contraint et de surcroît en charge d'une famille monoparentale. 


Iniquité et absurdité qui se retrouvent dans toute la fiscalité indirecte, à commencer bien sûr par la TVA (que ses taux varient selon la nature des biens taxés n'empêche pas que pour un achat donné, un taux identique frappe le riche et le pauvre – le riche se fournit lui aussi en biens de première nécessité et la modicité du taux appliqué sur ceux-ci n'a aucune justification le concernant). Aussi bien, les Français ne sont pas allergiques à l'impôt : ils l'ont toujours été à des impôts injustes, et d’autant plus violemment que ceux-ci étaient insupportablement injustes. 


À cet égard, il faut certainement redire que l'impôt républicain est toujours proportionnel – assis sur les facultés contributives de chacun. Et que l'impôt démocratique se doit, lui, d'être progressif – ce que n'est pas la CSG, anomalie qu'on occulte dans le débat public ; car de cette progressivité dépend la réduction des inégalités, un impératif qui découle de ce que l'égalité des conditions est la base de la démocratie et la garantie d'une égalité effective des droits. 


Si l'impôt exprime le contrat social, et si en l'acceptant le corps social s'affirme en tant que nation, une piste de réflexion s'impose à l'esprit : n'est-il pas possible, avec les outils informatiques en tous genres du XXIsiècle, d'inclure dans les moyens de paiement électroniques une « clé » déterminant le taux d'imposition indirecte qui s'applique, pour chaque achat ou opération taxable, à chaque citoyen en fonction de ses revenus ? 


Gageons que la question n'est pas prête d'être posée dans nos sociétés où l'on n'a pas « à s'excuser d'être riche », où la précarité et la pauvreté sont réduits à « des difficultés éprouvées par les Français » sur lesquelles, au mieux, on verse une larme de crocodile, et où les précaires et les pauvres n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes de leur sort (faute, on le sait, de traverser la rue pour disputer un emploi – i. e. celui que l'immigré, par ailleurs dénoncé sans relâche, est le seul à accepter faute d’autre choix pour essayer de vivre). Et dans l’alignement quasi universel des politiques publiques – Union Européenne en premier lieu – sur la religion du tout-marché et sur le culte subséquent de la concurrence, de la compétitivité et de la pandémique évaluation du faible par plus fort que lui.

 

Didier Lévy

Publié dans Réflexions en chemin

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