« Abus sexuels, abus de pouvoir et abus de confiance »
Le 24 août dernier, suite à la révélation de plusieurs abus sexuels dans l’Église catholique, le pape Françoisadressait une Lettre au peuple de Dieu dans laquelle il mettait en cause «une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme » (1).
Ce propos dépasse l’obsession pour les dérives sexuelles, au profit d’une analyse sur les liens existant entre « les abus sexuels, les abus de pouvoir et de conscience » par laquelle le pape définit le cléricalisme. Interrogé à ce sujet par le journal La Croix, le frère bénédictin italien Michael Davide Semeraro déclare ceci : « L’Église a encouru le risque de fonctionner davantage comme une institution religieuse que comme une communauté de foi. Ce qui est très ambigu, c’est qu’elle a fait entrer par la fenêtre ce que l’Évangile avait fait sortir par la porte : le caractère sacré (…). L’identification entre le ministère au service de la vie d’une communauté et l’identité personnelle du ministre ordonné a créé toute une série d’abus ». Et il poursuit : « Remettre l’Évangile au centre de la vie de l’Église, c’est reconnaître une erreur fondamentale : celle d’avoir atténué l’appel provocant à être une communauté de frères au service de l’humanité, et non une « religion » comme les autres (…) Une Église qui repart de l’Évangile est une Église qui renonce à créer des castes exclusives s’arrogeant le droit d’exclure les autres au nom d’une vocation ou d’une investiture venue d’en haut » (2)
Cette tentation cléricale traverse aujourd’hui aussi bien les structures les plus traditionnelles du catholicisme que ce qu’on appelle les « communautés nouvelles ». Ainsi, suite au chapitre général de la congrégation de la Communauté Saint Jean tenu en avril 2013, le Prieur Général, reconnaissant que ses frères « n’ont pas été indemnes d’une certaine idéalisation » de leur fondateur le Père Marie-Dominique Philippe (1912-2006), les informe « des témoignages convergents et crédibles disant que le père Philippe a parfois posé des gestes contraires à la chasteté à l'égard des femmes adultes qu’il accompagnait »(3). Plus récemment, le Père Moïse Ndiome, modérateur des Foyers de charité fondés en 1936 par Marthe Robin, publiait le communiqué suivant : « Plusieurs témoignages ont été portés à ma connaissance et font état de gestes déplacés et de comportements inappropriés que le père André-Marie van der Borght (1925-2004), fondateur du Foyer de Tressaint, a eus à l’égard de femmes, notamment dans le cadre de l’accompagnement et du sacrement du pardon », ajoutant que « ces gestes sont inacceptables de la part d’un prêtre ».
Face à cette crise profonde de l’Église catholique, on ne peut que souscrire au propos de Michaël Semeraro : « Les événements et, surtout, l’intelligence plus grande que nous avons de l’Évangile, exigent que l’on ne tombe pas dans la logique du rapiéçage (Marc, 2,21), mais de nous lancer au contraire joyeusement vers l’horizon de la refondation. Tout cela ne peut se produire que si nous acceptons d’abord de relativiser toute une série d’institutions et de fonctionnements » (4).
Bernard Ginisty
- Michaël Davide SEMERARO, Renoncer à toute forme cléricalisme, journal La Croix du 25 octobre 2018, p. 21. Né en 1964 dans le sud de l’Italie, il a soutenu un doctorat de théologie spirituelle à l’Université grégorienne. Bénédictin depuis 1983, il vient de publier La vérité vous rendra libre. Spiritualité et sexualité du prêtre, éditions Salvator, 2018.
- Cf. Jean MERCIER, Les Frères de Saint Jean révèlent les manquements à la chasteté de leur fondateur in hebdomadaire La Vie, 13 octobre 2013.
- Cf. journal La Croix du 12 octobre 2018 ; Les Foyers de Charité révèlent des accusations contre une de leurs grandes figures.
- Michaël Davide SEMERARO, op. cit.