Toussaint : raconter des histoires
La fête de la Toussaint et la célébration de nos morts du lendemain forment un tout. Nos morts sont les saints que nous célébrons. Il faudrait définitivement renoncer à sortir du lot les saints canonisés. Le principe est de canoniser des défunts remarquables qui seraient exemplaires. Malheureusement les statistiques nous montrent que ce sont les clercs et les religieuses qu’on nous présente principalement (1). Ne nions pas la qualité de leur fidélité à Jésus-Christ, mais en quoi sont-ils des exemples pour les chrétiens de base que nous sommes ? Et quand il s’agit de laïcs, ils ont eu d’ordinaire une vie que personne ne pourrait prendre en exemple !
Célébrer les saints, c’est-à-dire les défunts, nos prédécesseurs, c’est souligner le fait que nous ne sommes pas notre propre origine. Leur vie est fondement de ce que nous sommes. Louer les défunts est une reconnaissance de cette place qu’ils ont dans la construction de nos vies et leur rendre grâce de ce qu’ils nous ont apporté. C’est reconnaître notre dépendance sur laquelle nous sommes invités à construire, librement, notre vie présente.
Prier les saints ? En général ils sont invoqués comme intercesseurs. Cela correspond à nos sentiments humains, nous nous sentons proches de tel ou tel et imaginons une relation avec lui, nous le prions de porter notre voix auprès de Dieu. C’est un mode d’approche du Christ qui correspond à un certain état d’esprit, mais l’essentiel dans cette démarche est ce qui est sous-jacent, un désir de suivre le Christ. Le reste est de l’ordre de l’imaginaire, utile car nous sommes des hommes, mais de l’imaginaire quand même. On comprend que beaucoup de chrétiens négligent cette démarche un peu trop humaine, sans oublier le dicton : « il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints ». Une autre prière peut s’élever qui est faite de simple louange. Elle nous engage sur les chemins qu’ils nous ont indiqués par leur vie, y compris ceux qu’il faut redresser. La louange est une reconnaissance de leurs vies et une décision d’en tirer profit pour avancer dans les nôtres. Le « priez pour nous » des litanies serait plutôt, dans ce contexte, un « priez avec nous ».
La célébration des saints nous invite ainsi à faire mémoire d’eux, de leurs vies. La réflexion théologique est nécessaire pour mieux comprendre notre foi, pour nous éviter trop de fausses pistes, mais elle ne peut pas nous dire qui est Dieu car il est inatteignable, sinon il n’est pas Dieu. Elle ne peut l’évoquer qu’à travers des images, des mythes ou des métaphores. Cela y compris dans ses réflexions fondées sur les deux testaments, producteurs de mythes et métaphores qui peuvent prendre sens grâce au travail théologique. Mais Dieu doit aussi – prioritairement ? – être recherché en considérant la vie de tous ceux qui l’ont cherché, s’en sont approchés – parfois éloignés, dans le concret de la vie. C’est à travers ces témoins que nous avons été touchés par la foi. Faire narration de ce qu’ont vécu nos prédécesseurs nous permet d’approcher ce que peut être une vie chrétienne, faite de hauts et de bas, de contradictions dans l’application des beaux principes qui devraient nous guider. À travers ces narrations nous dépassons les contradictions, les obstacles que nous ne pouvons résoudre par une simple réflexion théologique. Même l’Évangile montre des contradictions dans la vie de Jésus :« heureux les doux »puis « les violents l’emportent ». Dureté avec certains, puis exigence d’amour inconditionnel. Les conflits de devoirs ne se résolvent pas par des dogmes ! Jésus a vécu pleinement nombre de contradictions. Appel au bonheur et « portez votre croix ». Il donne un exemple : surmonter les contradictions en acceptant sa mort.
Plutôt que d’aller chercher les « grands saints » peut-être devrions commencer par considérer ceux que nous avons connus, nos parents et autres ancêtres, leurs proches (2). La narration de leurs vies, la considération de la façon dont ils l’ont menée, peut grandement nous éclairer. Il s’agit d’un catéchisme autrement lumineux que ceux que l’on voudrait nous imposer. Nous sommes leurs héritiers, nous dépendons de cette réalité. Notre liberté est entière car c’est dans le présent, dans notre monde actuel, que nous nous remémorons ce qu’ils ont été. Nous ne faisons pas de la nostalgie, raconter leur histoire est redonner vie maintenant à ce qu’ils ont été autrefois en nous le réappropriant, avec esprit critique et bienveillant.
Célébrons donc la Toussaint, la « fête des morts », non comme un retour en arrière mais comme une réactualisation des chemins des hommes pour avancer dans leur suite du Christ.
Marc Durand
Toussaint 2018
1 – Ces temps derniers les papes aussi s’évertuent même à canoniser leurs prédécesseurs ! En quoi la vie d’un pape peut-elle m’inspirer ! Je peux admirer mais suis-je concerné ?
2 – Citons aussi l’œuvre de Michel Clévenot, Les hommes de la fraternité, qui balaye l’histoire des vingt siècles de christianisme en racontant celle d’hommes et de femmes qui montrent un chemin de vie.