Avortement = Homicide ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

On fait un procès public à un gynécologue qui sous-entend que l’avortement est un « homicide ». A cette occasion, on doit déjà, une fois de plus, revenir sur cette difficile question de la liberté d’expression1. On ne comprend pas pourquoi cet homme — quelles que soient ses responsabilités syndicales, alors qu’il est plus compétent sur le sujet qu’une secrétaire d’État, diplômée en communication — ne pourrait exprimer son sentiment personnel sur une question qui est, probablement, au cœur de sa vie professionnelle et relève en tout cas de sa liberté.

 

On peut ne pas être un suppôt des identitaires, ni un touriste de la « Manif pour tous », et s’interroger sur les conséquences de l’avortement et son extrême banalisation. Quoique chrétien, j’aurais été partisan d’une IVG si la vie de ma femme avait été en danger au cours d’une grossesse. Je dois donc reconnaître ce même droit à toutes les femmes. Mais de là à faire de l’avortement un acte généralisable sans des raisons vitales, comme une sorte de moyen contraceptif (le plus sûr ?), et surtout sans s’interroger sur la portée du geste que l’on accomplit, il peut y avoir un pas. Cette invitation au questionnement n’est ni une atteinte délibérée aux libertés des femmes ni un relent de fascisme. A-t-on le droit de dire que l’on doute, être méfiant, voire hostile à l’« avortement sans frontières » ?

 

Et d’abord, qu’est-ce qu’un homicide ? Le CNRTL2, qui est expert en matière de définitions, nous dit que, substantivement, est homicide « celui qui tue un être humain ». Ah bon, mais un embryon est-il un être humain ? Nous ne recommencerons pas les querelles, qui durent depuis au moins Aristote puis les scolastiques, pour savoir au bout de combien de semaines l’embryon est « animé », c’est à dire doté d’une âme, donc appartenant à notre espèce. Sous cet angle, le dilemme est insoluble, car il faudrait se demander ce qu’est l’âme, or elle n’est pas un concept scientifique.

 

Est-ce simplement la raison qui manquerait au fœtus jusqu’à la fin de sa maturation dans la naissance, où il deviendrait alors3 ?  Est-ce à ce titre quil est jetable comme un… fétu ? Attention, virage dangereux, car les déficients cérébraux n’ont parfois plus de raison. Va-t-on, a posteriori, donner crédit aux nazis qui, au nom de l’amélioration de la race, supprimaient les malades mentaux « inutiles et coûteux » pour la société.

 

Alors qu’est l’embryon ? « Dans l'espèce humaine, conventionnellement, l'embryon existe depuis la segmentation jusqu'à la huitième semaine du développement intra-utérin » (Méd. Biol. t. 2, 1971, cité dans CNRTL) ». Huitième semaine, notons-le, et non quatorzième comme le permet l’IVG. À ce moment, l’organogenèse est quasiment finalisée. Procédons par l’absurde : l’embryon n’est pas un minéral, ni un végétal, ni un animal. N’est-il qu’un simple amas de cellules sans signification, sans finalité ? Une sorte d’abcès opérable sans souci ? De ce point de vue, l’adjectif « homicide » (du CNRTL) est plus pertinent : « qui sert à donner la mort… ». Qu’on le veuille ou non l’acte médical de l’IVG provoque la mort de l’embryon.

 

« Juridiquement, l'embryon, n'ayant ni sensibilité, ni personnalité n'est pas considéré comme une personne à part entière » (Wikipédia). Mais le droit aurait peut-être intérêt à tenir compte des travaux récents des neurosciences. Boris Cyrulnik, analysant les conditions de la construction d’une « âme plus sereine » remarque : « Dès le septième semaine de grossesse, l’enfant reçoit les informations venues de sa mère. Si elle est fatiguée ou apeurée, ce stress se transmet au corps et au corps de l’embryon ». Est-ce l’indice d’un manque de sensibilité de sa part ?

 

Alors, qu’on supprime un embryon devant une urgence médicale ou à la suite d’un viol, par ex., ça peut s’envisager. De rares théologiens (je n’ai pas retrouvé les références) avaient proposé d’assimiler de telles situations à des cas de « légitime défense ». Après tout, on fait pire en temps de guerre en envoyant se faire tuer des gens qui n’ont rien fait, par des gens qui ne leur sont rien et qu’ils sont invités à tuer… Mais qu’on ne prétende pas, en même temps, en tirer bonne conscience, encore moins s’autoriser à faire un procès à ceux qui se posent des questions.

 

Jean-Baptiste Désert

 

1. Je rejoindrai les remarques de Marc Delîle, dans Garrigues et sentiers du 11 février 2018, sur la difficulté à marquer les limites de la liberté d’expression. Il semble juste qu'elle ne varie pas selon que l’auteur est classé « progressiste » ou « conservateur ».

2. CNRTL = Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, créé en 2005 par le CNRS, met en ligne un ensemble de ressources linguistiques informatisées et doutils de traitement de la langue.

3. Wikipédia nous apprend que : « Juridiquement, l'embryon, n'ayant ni sensibilité, ni personnalité n'est pas considéré comme une personne à part entière ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Publié dans Réflexions en chemin

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J
A Marc Durand, Philippe Lhermet, Didier Lévy<br /> <br /> Merci d’avoir mis des commentaires à mon petit billet sur l’avortement comme homicide éventuel. Il y a certes matière à débat et un blog est fait pour ça. Sans doute n’ai-je pas été assez clair dans un texte insuffisamment médité, parce que rédigé à la hâte, afin de ne pas répondre trop tard à un débat en cours. Pourtant j’avais cru peser mes mots.<br /> <br /> A M. D. - 1° Si les gens en charge de responsabilités devaient taire leurs opinions personnelles, la plupart des hommes politiques y seraient contraints. Un premier ministre donnant sa position «personnelle» en faveur de la PMA ne risque-t-il pas d’influencer un débat à venir sur ce sujet si grave de bioéthique ? Il faudrait aussi que se taisent tous les écrivains, artistes… s’exprimant péremptoirement dans des domaines hors de leur aire professionnelle, où ils engagent une notoriété non pertinente.<br /> - 2° Si on dissocie la compétence technique d’un métier et la morale, je crains que l’on prive bien des professions de ce qu’on appelle la déontologie. Ainsi, je suis inquiet que, pour un sujet si complexe que l’avortement, le ministère de la santé envisage d’interdire la liberté de conscience des praticiens. Comme la liberté d’expression, la liberté de conscience est générale ou n’est pas.<br /> 3° Il me semble que dans les affrontements sur ces questions de morale, on confond souvent des situations objectives, qui peuvent être contradictoires : ici la liberté d’une personne face à un acte qui n’est pas insignifiant.<br /> <br /> A Ph. L. - Vous abordez plusieurs questions importantes en 14 lignes.<br /> 1° Que l’avortement ne soit pas chose banale, je partage totalement votre avis. Qu’il soit une épreuve pour la plupart des femmes qui y ont recours également. Les a-t-on toutes évaluées ? Ce qui semble une pente inquiétante, c’est le passage d’une loi Veil prévenante et prudente (prévoyant par exemple un temps de réflexion avant d’y recourir) à un abandon de la plupart des barrières encadrant l’IVG, et criminalisant les personnes qui voudraient persuader les intéressées, par parole et aide, de régler le drame vécu autrement.<br /> 2° A propos de mon attitude personnelle, je croyais avoir été clair en suggérant que, dans certaines situations (risque vital pour la mère, viol, une maladie irréversible du fœtus…), on pouvait envisager une sorte de cas de «légitime défense» privilégiant une vie existante face à une vie à venir.<br /> 3° Je suis d’accord avec vous sur la trop fréquente irresponsabilité des géniteurs, qui se défilent, contraignant ainsi parfois les femmes à ce geste ultime. Mais, dans le même temps, on proclame souvent que seule la femme doit décider («mon ventre est à moi») ; en outre, l’arrivée probable de la «PMA pour toutes» atténuera encore le rôle du «géniteur» devenu simple donneur de gamètes (en attendant, pourquoi pas ? la parthénogenèse si elle devenait possible pour l’espèce humaine).<br /> 4° Je crois n'avoir jugé personne ayant eu recours à un avortement, encore moins la croire en délicatesse avec Dieu. D’abord parce que ce serait bien présomptueux d’en décider ; ensuite parce que, comme vous apparemment, je crois à l’infinie miséricorde de Dieu.<br /> NB. : En l’occurrence, qui de nous deux est donneur de leçon ?<br /> <br /> A D. L. - 1° Ma référence à la suppression des malades mentaux par les nazis s’en tenait à la comparaison d’un être humain (le fou) ou potentiellement humain (le fœtus) tous deux privés de «raison» raisonnante, mais, notons le, ni l’un ni l’autre de sensibilité.<br /> 2° Le libre arbitre seul arbitre, individuel, dans un problème moral ? Il est central et nécessaire, sans doute, mais peut-on en faire un absolu ? Dans le cas de l’avortement, certes la décision finale relève naturellement (bien que je ne crois guère à la «loi naturelle») de la femme enceinte puisque c’est son corps, comme on le rappelle incessamment , qui est «porteur» du fœtus. Peut-on, pour autant, écarter l’avis d’autres partenaires ? Le mari ne peut-il formuler son sentiment, voire son désir, puisque, comme le rappelle Philippe Lhermet, l’enfant est habituellement fruit d’une union sexuelle et qu’on reproche aux hommes leur trop fréquent désintérêt des conséquences de leur acte (sexuel) ? L’État n’a-t-il d’autre rôle que de rembourser l’intervention ? Etc.<br /> 3° Ici, il faut être prudent, bien sûr, et se méfier aussi bien des politiques ultra-natalistes, qui seraient inclusives pour promouvoir abusivement des naissances parfois sélectionnées (eugénisme, Lebensborn…), que celles qui veulent empêcher strictement, parfois violemment, les naissances. Avec, à la clef, cet autre problème, ici ou là, de surpopulation plombant toute évolution sociale d’un pays. Un tout autre débat, mais là encore, pas simple. <br /> <br /> Cordialement. Jean-Baptiste Désert
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M
Je ne me retrouve pas dans les affirmations du premier paragraphe. D'une part lorsqu'on est en responsabilité, automatiquement on perd de la liberté de parole. Un patron de médecine, responsable syndical, ne peut parler (en public, cela va de soi) de son propre chef. Que cela lui plaise ou non, il engage plus que lui. S'il était un simple citoyen, il n'aurait d'ailleurs pas la parole. Cela me rappelle les remarques autour de la parole récente du pape sur les homosexuels qu'il faudrait psychiatriser. Cette parole n'était pas légitime, car quoiqu'il en veuille, quand le pape parle, il engage bien plus que son sentiment ou ses idées personnelles, il engage d'une certaine façon l'Eglise. C'est peut-être regrettable (certainement à mon sens), mais le système médiatique est comme cela, les personnes en responsabilité doivent en tenir compte, elle n'ont de fait pas la parole (publique) totalement libre. Seconde affirmation, la compétence du monsieur. Mille regrets, mais il s'agit d'un sujet moral et philosophique, que ce médecin y soit confronté dans sa pratique n'en fait pas un spécialiste de la réflexion morale. Comme l'on dit souvent, le sujet est trop grave pour être laissé aux experts. Dans un tel domaine nous sommes tous impliqués. Quant à la ministre, je ne sais plus ce qu'elle a dit, mais elle, elle devait parler justement au nom de ses responsabilités.<br /> Autre chose me gêne dans cet article : alors qu'il se présente comme une défense de la liberté de parole, il développe en fait une argumentation sur le sujet de l'avortement. On ne peut parler de l'avortement ainsi en quelques lignes à l'occasion d'autre chose et je n'entrerai pas dans le débat. Mais celui-ci me semble bien mal engagé parce que l'auteur n'a pas voulu (et ne le pourrait pas dans un tel contexte) développer sa pensée en argumentant, et donc est amené à donner quelques arguments épars qui ne font pas une doctrine ni une pensée. Cette question dépasse de beaucoup les quelques considérations scientifiques sur le vivant, savoir au bout de combien de semaines l'embryon serait une personne, etc. Elles ne peuvent suffire à traiter une question qui va bien au-delà.
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P
J'ai du mal après avoir relu cet article d'en comprendre la finalité. En effet, personne ne peut apprécier une IVG comme un acte banal, une facilité. Et au premier chef la femme qui y a recours. C'est pour cela que cet acte a été encadré par la loi notamment quant aux autres solutions disponibles. Pour ma part je remarque souvent l'incroyable silence des pères car un enfant faut-il le rappeler et le fruit d'une union sexuelle , dès lors pourquoi s'acharner sur les femmes uniquement ? Est ce une attitude chrétienne que de condamner sans autre forme de procès. je remarque que dans son article l'auteur se positionne en mari et alors admet assez facilement qu'il aurait donné son accord à une IVG de son épouse . Au nom de quoi puisqu'il nous explique qu'il s'agit d'un homicide, mot savant pour assassinat. Il aurait donc été complice d'un assassinat et bon chrétien...Je respecte ceux qui refusent pour eux même cet acte grave mais pas ceux qui se pose en donneur de leçon sans jamais avoir été confronté à la réalité. Je suis pour ma part certain que Dieu pardonne cet acte comme les autres et que n'avons pas à nous substituer à lui.
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D
Navré, mais l'allusion aux "nazis qui, au nom de l’amélioration de la race, supprimaient les malades mentaux" me paraît parfaitement déplacée dans un débat de conscience où tout ce qui touche au "statut" de l'embryon relève de données admises ou avancées "conventionnellement. La seule position éthique qui vaille en la matière n'est-elle pas de considérer que le débat se situe entièrement dans le libre examen que chacun(e) mène en lui-même, et que la conclusion de ce débat doit demeurer close dans ce "en lui-même" qui est le champ d'exercice de la part la plus essentielle, et partant la plus assurément imprescriptible, de la liberté de jugement et de détermination de la personne humaine. Avec notamment cette conséquence - collective et sociétale - que la loi n'a pas à pénétrer dans ce champ du libre arbitre : le silence, et pour mieux dire, l'abstention de la loi, valent vis à vis de l'IVG aussi impérativement que vis à vis de tout autre questionnement auquel seul le libre arbitre est en droit de répondre.
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