ASSOMPTION – Faut-il rendre un culte à Marie ?
L’Assomption, sommet des fêtes mariales, célèbre le culte envers Marie qui s’est développé depuis des siècles. Ce culte est-il encore d’actualité ou faut-il l’abandonner comme les scories d’une religion dépassée ?
Défini par Pie XII en 1950 le dogme affirme :
« Par l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et par Notre propre autorité, Nous prononçons, déclarons, et définissons comme un dogme divinement révélé que l'Immaculée Mère de Dieu, la Vierge Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire céleste ».(Constitution dogmatique Munificentissimus Deus, § 44)
Pour que cela prenne sens, faudrait-il encore que soit défini ce que sont le corps et l’âme, notions relevant d’une philosophie assez peu parlante aujourd’hui. On retiendra que Marie a une place particulière parmi tous les humains, place éminente qui lui permet de participer totalement à la Résurrection du Christ. Ce dogme fait pendant à celui de l’Immaculée Conception décrété en 1854. Ce dernier est évidemment lié à la doctrine du péché originel développée par Saint Augustin en quête d’une doctrine cohérente sur le mal. Là encore la philosophie sous-jacente peut nous laisser perplexes. Il nous reste la place éminente de Marie dans l’histoire du salut.
Le culte marial s’est développé à partir du 5ème siècle (1), introduit de façon indirecte. Une querelle tournait autour de la divinité du Christ et pour condamner Nestorius, Marie a été déclarée à Ephèse (431) « Théotokos », soit « Mère de Dieu », afin de préciser que Jésus (et pas seulement le Christ ressuscité) était Dieu. Ce titre donné à Marie remontait au Concile de Nicée (325), mais les querelles (avec Arius d’abord, puis Nestorius) vont durer plus d’un siècle. A partir de là peut se développer un culte qui, bien souvent, a eu tendance à « déifier » Marie, elle devenait plus importante que le Christ. Il faut cependant reconnaître que le magistère a toujours insisté sur le caractère christologique de ce culte, comme par exemple avec le Rosaire (il remonte au 13ème siècle) qui consiste en une méditation des « mystères christologiques » soutenue par une adresse à la vierge de l’Annonciation dans le « Je vous salue Marie ». Mais le peuple chrétien, soutenu par le clergé, est vraiment devenu mariolâtre à certaines périodes (comme il semble parfois être aussi papolâtre!).
Le 19ème siècle a été un sommet de cette déviance avec le passage des apparitions de Marie en songe à des apparitions « en réel » (Lourdes et bien d’autres lieux, jusqu’à Fatima, laissons de côté quelques ersatz plus récents). Et le magistère a toujours encouragé ce culte sans trop regarder son caractère idolâtre, il entretient les sentiments religieux, c’est cela qui intéresse l’institution. Mais le christianisme doit-il servir les institutions, est-il d’abord une religion, ou bien est-il une foi qui s’exprime dans l’une l’autre d’entre elles ?
On ne peut manquer d’avoir l’impression que ce genre de culte est destiné à promouvoir la religion plus que la foi. Pour ancrer la foi des croyants, pour les soutenir dans l’expression de cette foi commune, on invente des gestes religieux, des prières, des cultes qui peu à peu occultent l’essentiel. Ils répondent aux besoins de sécurité, de convivialité, de chaleur, de sentimentalisme. Pourquoi pas, dirons-nous ? Oui, à condition qu’on mette ces gestes à leur place et qu’on ne crée pas ainsi une religion idolâtre (pléonasme, par essence toute religion est quelque peu idolâtre).
Pourtant le Nouveau Testament ne prête pas à ce culte. Luc, dans son joli conte de l’enfance, évoque simplement le « fiat » de Marie, suivi de ce magnifique hymne qu’est le Magnificat donnant le ton de ce qui est en jeu :
« ...il a dispersé les hommes au coeur superbe, il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles, il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides, il a porté secours à son serviteur Israël, se souvenant de sa miséricorde... »(Lc 1, 51-54).
Puis, dans son évangile, Marie apparaîtra deux fois seulement, pour se faire rabrouer :
« Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? »(Lc 2,49),
et enfin :
« Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique »(Lc 8, 21).
Quant à Jean, qui a pris Marie chez lui et devait donc en savoir long, il n’en parle que deux fois aussi: pour inaugurer la mission, aux noces de Cana, elle intercède auprès de Jésus (là encore en se faisant rabrouer!) et à la fin de la mission, au pied de la croix, Jésus la confie à Jean, pilier de l’Église à venir.
Ainsi on est loin du culte qui se développera quelques siècles plus tard. Marie se caractérise par sa discrétion (les évangiles parlent davantage des autres femmes), par son ouverture au plan de Dieu et son acceptation, sa disponibilité, par son lien à la mission de son Fils en étant présente à l’origine et à la fin. C’est tout, c’est peu mais essentiel. Enfin les autres textes du Nouveau Testament la passeront sous silence sauf pour dire qu’elle était bien là à la Pentecôte, parmi d’autres, c’est-à-dire lors de la fondation de l’Église, présente à nouveau à l’origine de la mission, sans commentaire superflu.
Plutôt que s’adonner à un culte envers Marie il semble nécessaire de méditer sur ce qu’elle a été, ce qu’elle représente. Les saints peuvent nous inspirer, ils sont faits du même bois que nous, avec leurs faiblesses. De la vie de Marie, nous ne savons rien et c’est mieux. On ne l’imite pas comme on ferait pour les saints : première des croyantes, elle nous montre la voie vers son Fils : celle du « fiat » et du « magnificat ». Marie, c’est la mission silencieuse invisible, parce qu’elle se préoccupe du fond des choses, qu’elle s’adresse aux hommes au plus intime de leurs vies. Marie est celle qui est ancrée sur la mission de Jésus et peut vivre l’échec de la Croix parce qu’elle croit en son Fils.
L’Assomption est alors célébration de cette Foi christique qui, malgré l’échec douloureux de la Croix, a accompagné Marie dans la création de l’Église naissante et nous accompagne actuellement de la même manière.
Marc Durand
Assomption 2018
(1) Dès le second siècle Marie est évoquée comme mère vierge (pour affirmer que Jésus est bien fils de Dieu) et figure de l’Église, d’où certainement un premier culte. Mais il semble que ces notions se sont fixées après le concile de Nicée (325), ce qui a marqué le véritable départ du culte marial.