Actualité de la Saint-Barthélémy
La Saint Barthélémy est célébrée le 24 août. Depuis 1572 cette date marque pour la France le souvenir d’un des plus grands massacres qu’elle ait connus, un des sommets des guerres de religion. Ces guerres sont-elles terminées ?
Siècle passionnant que le 16ème, avec des réformes à tout va ! Au point de vue de la religion, qui était alors une des grandes affaires, on assiste à une épuration de la foi, à un retour aux origines après des siècles qui avaient vu s’établir une religion envahissante faite de multiples pratiques et consignes opacifiant l’accès à la foi. L’Europe centrale est au coeur de ce renouveau, avec Jan Hus d’abord, pour qui cela finit mal, puis Luther. Mais en fait l’esprit de réforme était partout présent. En France, jusque vers 1550, les chrétiens se cherchent, certains plus proches de Luther en se situant hors de l’Église, les « Évangéliques » suivant les mêmes idées, mais à l’intérieur de l’Église. Puis les choses se durcissent, Calvin, retiré à Genève, crée l’Église Réformée et les véritables oppositions se marquent. Henri II, par de multiples édits, pourchasse les protestants et ceux-ci résistent, répondant à la violence par la violence, jusqu’à la conjuration d’Amboise contre François II qui finira dans un bain de sang dû à la répression royale. C’est sous les règnes suivants qu’on assiste à une véritable guerre civile, dite « guerre de religion », malgré des efforts de conciliation au début, sous la régence de Marie de Médicis. Tout est mêlé, les grandes familles se disputent le pouvoir dont un des leviers est d’accéder au Conseil du Roi. Les unes sont réformées, d’autres catholiques, et pour créer encore un peu plus de confusion, certaines sont partagées, comme par exemple les Montmorency. S’il s’agit bien d’une guerre civile, avec des enjeux politiques et économiques, elle est marquée par l’appartenance religieuse.
Le premier écueil vient de ce que la population se définit d’abord par sa fidélité au roi et sa religion (on n’est pas français, mais catholique fidèle au roi catholique). Cette fidélité donne une identité sociale. Ce marqueur d’identité exclut ceux du dehors. La notion d’identité est le ver dans le fruit de la religion. Dans un tel contexte l’autorité royale a bien du mal à considérer comme de fidèles sujets ceux qui ne partagent pas sa religion, d’où la répression. Le protestantisme comme le catholicisme va devenir un marqueur d’identité et d’exclusion. Les Genevois, en premier, en feront l’amère expérience avec le pouvoir de Calvin.
Un second écueil est le refus de toute réforme. Réformer ce que vivaient les ancêtres est considéré par beaucoup comme une trahison inacceptable. On aboutit au fondamentalisme, attaché à une vérité abstraite immuable (ce qui montre en passant une grande ignorance de l’histoire) et l’oubli que toute religion est une construction humaine, inspirée peut-être, mais comprise et traduite par des hommes.
Enfin, troisième écueil, le refus de l’identité de l’autre allant jusqu’à l’éliminer. Refus d’autant plus véhément lorsque l’autre est un proche dont on ne reconnaît pas l’identité.
Cela dans un contexte politique national et international embrouillé, renforcé par les luttes intestines entre grandes familles, sujet à toutes les manipulations. Tout est prêt pour le massacre. Inquiet de la réaction protestante à l’attentat contre Coligny, Charles IX décide de faire éliminer les chefs protestants en prenant le parti des Guise. Cela donne lieu au massacre d’une bonne centaine de personnes et aurait dû s’arrêter là, ce serait resté comme un épisode certes regrettable mais assez ordinaire de la vie politique. Mais c’était sans compter sur le fanatisme des foules manipulées et marquées depuis des années par ces trois écueils : l’identité sociale, le fondamentalisme, le refus de l’identité de l’autre. Le massacre va donc se développer 3 jours dans Paris, trois mois dans tout le royaume, pour aboutir à 10.000 morts au moins, certains parlant de 30.000 ! Période bien sauvage... mais est-elle exceptionnelle ?
Les catholiques fondamentalistes font florès actuellement, depuis les extrémistes bien connus jusqu’aux « bien-pensants » ancrés dans la « vérité ». Ils sont de tous les combats contre les réformes, quelles qu’elles soient, non seulement refus des réformes sociétales, mais surtout d’en débattre, tout est dans un même sac et condamné a priori. Pour des raisons religieuses on prétend imposer à tous ses propres conceptions. Là où le pouvoir est proche d’eux (que l’on pense à la Pologne actuelle) c’est à la liberté des citoyens, catholiques ou pas, qu’ils attentent. Aux Etats-Unis la « christian belt » pèse sur la politique intérieure et internationale (par exemple par son appui très marqué à Israël pour des raisons strictement religieuses). On peut rajouter le créationnisme qui s’impose dans les écoles. La Bible ne se discute pas et s’impose à tous, directement, sans filtre.
On pourrait continuer la liste pour voir que notre époque n’est pas meilleure, et s’il n’y a plus de massacres, c’est plutôt par incapacité (à Gaza c’est possible!) que par tolérance. L’attentat du cinéma Saint Michel, à Paris, n’est pas si éloigné. On ne massacre pas les migrants, on les laisse mourir en Méditerranée… ou dans les recoins de nos villes. Et comme toujours ce sont les plus proches qui sont dans la ligne de mire. Qu’un Zoulou ne soit pas bon chrétien et pratique l’avortement, tout le monde s’en moque… pourvu qu’il reste chez lui ! Mais mon voisin, surtout si on le rencontre dans diverses occasions de la vie ordinaire, alors c’est intolérable.
Et bien sûr fleurit aussi le fondamentalisme musulman, qui s’exacerbe dans le terrorisme actuel. Là encore on se trouve dans un contexte politique et économique très troublé, on assiste à des luttes intestines de clans, et l’identité religieuse qui donne une identité sociale, qui s’appuie sur un fondamentalisme et refuse l’identité de l’autre, cette identité est là pour permettre le passage à l’acte. Les musulmans n’ont rien inventé, mais sont à un point de leur histoire qui exacerbe ces dérives.
Il serait temps d’apprendre la tolérance, non pas pour ignorer les autres (on est tolérant parce qu’on « s’en fout ») mais pour reconnaître que tout homme a une valeur que nous devons respecter et qui nous enrichit. Renoncer à définir son identité par sa religion, cet entre-soi bien confortable, cette piste identitaire a montré tous les maux qui peuvent en sortir. La religion ne peut pas être un chemin d’exclusion de ceux qui n’y participent pas. Elle est ce qui relie, lorsqu’elle exclut soyons certains qu’elle s’est éloignée de la foi qu’elle prétend exprimer. Puis ouvrons les perspectives, les replis identitaires sont légion et ne pourrissent pas uniquement le domaine religieux. N’allez pas dans certains quartiers de Marseille avec une voiture immatriculée dans le « 78 » ! Les bagarres entre quartiers (ou groupes de Rap, actuellement) montrent que les pauvres aussi sont atteints par ces replis et exclusions. Le nationalisme se porte bien, sans parler du racisme, du rejet des immigrés.
Nous craignons le terrorisme, à raison ! Nous condamnons cet islamisme fondamentaliste antidémocratique, à raison aussi ! Mais regardons-nous aussi : le fanatisme, le refus du différent, le conservatisme aveugle, la religion dévoyée ne sont pas la chasse gardée des Musulmans. C’est dans tous les pans de la vie sociale qu’il faut revoir notre conception de l’autre, du différent, qui est une richesse et non un problème. Toutes les catégories sociales sont concernées, les chrétiens au premier chef.
Marc Durand
24 août 2018