Éditorial du Dossier n° 35 « Vivre la Fraternité »
Garrigues & Sentiers on the Net
Dossier n°35
VIVRE
LA FRATERNITÉ
C’est une récente décision du Conseil constitutionnel censurant un article de loi relatif à l’aide aux étrangers en situation irrégulière qui nous a inspiré le titre de ce 35e dossier de notre blog. Car en affirmant la prééminence du « principe de fraternité » sur la « sauvegarde de l’ordre public », elle lui donne une « valeur constitutionnelle » qui le met à parité avec les deux autres termes de notre devise républicaine dont il était jusqu’alors un peu le parent pauvre. On ne saurait marquer plus clairement que Vivre la Fraternité n’est nullement un « hobby » laissé à la discrétion de chacun, mais une injonction à laquelle tout citoyen de notre pays se doit d’obéir.
De fait, cette injonction sous-tend ce dossier qui est pour moitié composé de textes originaux et, pour l’autre moitié, d’articles publiés dans le numéro 64, Irremplaçable Fraternité, de la revue Garrigues aujourd’hui disparue dont nous essayons de pérenniser l’esprit sur le Net. Vingt ans après leur parution, ils nous ont paru en effet conserver leur pertinence.
En préalable, il convenait d’éclairer les fondements de la Fraternité. Ce qui nous a conduits à recourir à l’Écriture – comment s’en étonner dans un blog chrétien ? –, mais aussi à esquisser une approche plus large de cette notion. Trois articles répondent à ces objectifs :
- Le premier, Frères nés d’un même Père, d’Émile Lévecq, s. j., prend appui sur le livre de la Genèse pour montrer comment, au travers des nombreux récits de fratricides qu’il relate, Dieu a ouvert l’avenir d’un salut.
- Lui font suite, pour une approche anthropologique et philosophique du sujet, deux articles de Marc Durand qu’il convient de lire conjointement :
- Le premier, La Fraternité, hier et aujourd’hui, est une « défense et illustration » de cette notion, qui convie à voir en elle « le fondement de notre statut d’humains ».
- Le second, La Fraternité en action, montre de façon plus précise qu’elle est fondée sur une éthique qui s’enracine dans la Justice, mais aussi sur une certaine forme de « transcendance dans l’immanence ».
Trois articles brossent ensuite les grandes lignes de l’histoire de la notion de Fraternité et de sa traduction concrète dans nos institutions républicaines :
- La fraternité, accomplissement de l’humanité ?, de Marcel Bernos, montre le long cheminement qui a conduit, depuis les fratries et confréries de l’Ancien Régime, au mûrissement progressif d’un projet de plus large humanité.
- République et Fraternité, de Benoît Lambert, retrace, au travers de cinq Républiques, l’enracinement dans la patrie et dans la nation d’une valeur à redécouvrir et approfondir sans cesse.
- Fraternité : de la vertu aux institutions, de Jean-Marie Pontier, est un appel déterminé à incarner la fraternité dans de nouvelles formes de solidarité.
En contrepoint de cette approche historique, quatre articles traitent ensuite de formes de vie fraternelle dans la société contemporaine :
- La Fraternité dans la vie religieuse, de Thaddée Matura, ofm, retrace les modalités diverses que les communautés religieuses ont imaginées au cours des siècles afin de répondre au titre de « frères » que revendiquaient les premiers chrétiens.
- Frères et sœurs dans la communauté musulmane, d’Alain Feuvrier, s. j., qui discerne au sein de cette communauté une fraternité d’appartenance fondée sur la pratique des « cinq piliers de l’Islam ».
- La Fraternité maçonnique pour un chrétien franc-maçon, de Mesa, qui brosse le portrait d’une « Franc-Maçonnerie simple, une, et en même temps compliquée par sa richesse, sa diversité ».
- La fraternité des sœurs, d’Agnès Pitrou, ferme plaidoyer en faveur de la « sororité », terme un peu oublié aujourd’hui qui traduit l’effort des femmes pour sans cesse refaire ce que les hommes défont dans leurs oppositions fratricides.
Mais l’essentiel, bien entendu, est de mesurer ce que doivent être aujourd’hui les chantiers de la fraternité. Quatre articles s’efforcent de les discerner :
- La place de la fraternité dans la devise républicaine, de Bruno Viard, qui pointe dans la fraternité le tiers indispensable pour que la modernité réussisse ce pari : que la liberté et l’égalité puissent se faire mutuellement contrepoids.
- Pour une société fraternelle, de Philippe Langevin, plaidoyer bienvenu quand, dans le monde actuel, « le repli sur soi, la fermeture aux autres, la volonté de se protéger et la peur du lendemain ignorent ce que fraternité veut dire », spécialement à l’égard des migrants.
- Vers une nouvelle Fraternité, de Joëlle Palesi, pour qui il ne saurait s’agir que d’une fraternité planétaire, ce qui suppose un ferme engagement en faveur des causes écologiques.
- En tout cela, il s’agit de Faire naître la fraternité, comme le dit Maurice Élain dans le dernier article du dossier où, après avoir souligné que « le meilleur du religieux et du profane se rencontre dans la fraternité », il conclut par ces mots de Pierre de Givenchy : « La fraternité est le divin de l’homme ».
Cela s’accorde bien avec l’article de Marc Durand voyant en elle une forme de « transcendance dans l’immanence ». De fait, la fraternité est une valeur dans laquelle peuvent se reconnaître également, pour paraphraser Aragon, « celui qui croit au Ciel et celui qui n’y croit pas. » Et qu’elle ait acquis désormais, grâce au Conseil constitutionnel, une « valeur constitutionnelle » nous oblige. Il appartient à tous et à chacun de promouvoir la Fraternité, tout en prenant garde aux dangers que pourrait receler une fausse appréciation de ce qu’elle est vraiment.
Comme l’a souligné Abdennour Bidar devant des professeurs et directeurs d’établissements scolaires privés de la région PACA, danger il peut y avoir en effet quand, « vivant dans une société régie par la loi ultra-libérale qui sépare tellement les individus les uns des autres (...), nous nous regroupons en fraternités spécifiques pour résister à sa force de dissolution. Mais ces communautés en viennent à avoir autant de puissance d’inclusion de fraternité entre leurs membres, que de puissance d’exclusion de tous les autres » (La Provence, 22 mars 2018).
La vigilance qui s’impose pour ne pas tomber dans un tel piège ne doit pas nous dissuader de vivre et de faire vivre autour de nous la Fraternité. Notre souhait est que puissent nous y aider les articles de ce dossier, que nous mettrons progressivement en ligne. Ils seront ainsi le « fil rouge » de notre blog pendant cet été et pour notre rentrée.
G & S