Changer de regard : deux cas évangéliques
En Luc 21,1-4, Jésus et les disciples font les badauds devant le Trésor du Temple et regardent les passants, surtout des riches, qui mettent leurs offrandes. Survient une vieille femme ; elle ne met que deux piécettes jaunes. On imagine les commentaires !
Jésus, à travers cette situation banale, va apprendre à ses disciples à regarder « autrement » la réalité : « Cette femme a donné plus que les riches, qui ont jeté de leur superflu ; elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre ».
En Mathieu 15, 21-28, c'est Jésus lui-même qui va changer de regard sur sa mission et sur les personnes qui l'entourent : une cananéenne (une païenne) vient le supplier de guérir sa fille. Il ne répond pas un mot et continue sa route ; la mère, pour qui sa fille est toute sa vie, n'abandonne pas, elle poursuit le groupe en hurlant ; on imagine la scène : les disciples demandent à Jésus d'intervenir : cette femme leur casse les oreilles par ses cris, car en Orient, les mères n’hésitent pas à hurler en public, surtout s’il s’agit de leurs enfants !
Jésus qui souhaitait rester incognito, avait des objectifs précis : annoncer la Bonne Nouvelle uniquement aux Juifs.(cf Mt 10,5-6). Il lui répond qu’il n'a été « envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël », une autre façon de dire qu’il n’a rien de commun avec elle. Mais la femme ne renonce pas : elle force le barrage des disciples et se prosterne devant Jésus : « Viens à mon secours ». Jésus, cette fois, lui répond mais cette réponse est presque plus insultante que son précédent silence, à tel point que beaucoup de commentateurs, choqués par la réponse pensent qu’il s’agit d’une attitude purement pédagogique. Ce que je ne crois pas ; il partage simplement la mentalité et les préjugés de son époque : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens ». Pour la santé de sa fille, cette mère est prête à « mettre son honneur dans sa poche ». Avec beaucoup d’humilité et d’esprit, elle rebondit sur la comparaison de Jésus : « Même les petits chiens sous la table mangent des miettes des enfants ». C’est cette parole qui provoque la « conversion de Jésus » (au sens de conversion dans le ski, qui est un changement radical de direction) : il est en admiration devant la foi de cette femme ; il perçoit, comme pour la vieille femme du Trésor du Temple, qu'elle vient le trouver non pas pour du « superflu » mais pour ce qui fait la subsistance de sa vie, la santé de sa fille : c'est une pauvre qui joue sa vie sur sa parole
Les premières communautés chrétiennes continueront à apprendre ce changement de regard en voyant dans les « païens impurs » des gens appelés à rejoindre le royaume (cfr. pour Pierre la « conversion de Pierre » racontée dans les Actes 10,19sq où il comprend qu'il ne fallait déclarer immonde ou impur aucun homme ». Dans les Actes 15 et sq, les communautés chrétiennes suivront, mais avec beaucoup de difficultés.
Cette « conversion » du regard personnelle et collective n'est jamais terminée.
Antoine Duprez