Pour des Églises, « communautés de nos aurores » *
Dans la période de crise des certitudes et des identités que nous traversons, il est particulièrement important de décrypter ce que proposent les Eglises. Dans un récent article, la pasteure Béatrice Cléro-Mazire analyse les propositions des Églises protestantes (1). Sa réflexion me paraît concerner aujourd’hui l’ensemble des communautés chrétiennes.
Deux « tentations » lui paraissent aujourd’hui traverser les Églises : celle du « cocooning » : le bien-être remplacerait le salut. « Dans cette perspective, l’Église devient le lieu du « cocooning des âmes » (…) Pendant une heure ou deux dans la semaine, tout va bien pour tous ceux qui viennent se « ressourcer » à l’église. (…) Sans doute la pression qui repose sur une génération condamnée à réussir économiquement, puisque c’est là que semble se situer le seul salut, est-elle assez forte pour que de tels lieux de décompression existent. Mais qu’en est-il du message évangélique ? »
L’autre tentation qui traverse parfois les mêmes Églises consiste en un raidissement des positions morales et dogmatiques : « Prônant une lecture littérale de la Bible, affirmant une foi sans faille comme « valeurs sûres » capables de résister à la complexification de nos relations, de nos mœurs et de nos modes de vie, ces « ultra-religieux » se campent comme les tenants d’une alternative à la désorganisation du monde (…) Sans doute est-il rassurant de se dire qu’on est enfin installé du côté des purs ».
La pasteure trouve un certain équilibre entre ces tentations extrêmes dans les Églises « dites historiques » que « les partisans des Églises du bien-être regardent avec tendresse comme on regarde un petit vieux qui a vécu et auxquelles les partisans de la rigueur reprochent leur tiédeur en matière de conviction ». Pour Béatrice Cléro-Mazire, ces Églises sont « historiques », car leurs pratiques sont liées à l’histoire des hommes : « D’adaptations en relectures, d’hésitation en confiance, ces Églises de la « voie du milieu » sont en révolution permanente. Elles n’ont pas de recettes et c’est là leur force ». Ce qui l’amène à définir ces Églises comme « des fabriques de symboles ».
Elle conclut ainsi sa réflexion : « La vocation de nos Églises n’est sans doute pas d’anesthésier nos contemporains des maux que le réel provoque en eux, ni d’enseigner ce que chacun doit croire pour être dans le droit chemin. Ce serait une vocation au mensonge. J’aimerais croire que la vocation de nos Églises est d’aider chacun à y trouver les mots pour écrire son propre évangile ». Elle rejoint le propos du théologien jésuite Joseph Moingt : « Je pense que les communautés chrétiennes sont en voie de se reconstituer en communautés de lecture de l’Évangile, autrement donc qu’en communautés de célébrations ; on n’est plus dans la situation où les fidèles ne pouvaient entendre l’Évangile que dans l’acte hiérarchique du clerc qui leur en faisait la lecture et leur dictait ce qu’ils devaient comprendre. Ils sont en voie de prendre leur responsabilité de leur être chrétien, de se définir par rapport à l’Évangile et de prendre aussi la responsabilité de leur être en Église » (2).
Bernard Ginisty
* J’emprunte cette expression au poète René CHAR (1907-1988) dans ce passage de son ouvrage Les Matinaux : « L’aventure personnelle, l’aventure prodiguée, communauté de nos aurores » in Œuvres complètes, bibliothèque de La Pléiade, éd. Gallimard, 1983, p. 332.
(1) Béatrice CLERO-MAZIRE, pasteure de l’Eglise protestante unie de France à Boulogne-Billancourt : Le salut : entre cocooning et pédagogie, revue Évangile & Liberté, mensuel protestant des théologies libérales, avril 2018, p. 2 et 3.
(2) Joseph MOINGT, Croire quand même. Libres entretiens sur le présent et le futur du catholicisme, éD. TempsPrésent, 2010, p. 184. Ancien professeur de théologie à l’Institut Catholique de Paris, Joseph Moingt a dirigé pendant plus de trente ans la revue Recherches de Science Religieuse.