L’Esprit, ce mal-aimé
Le Saint Esprit n’a pas beaucoup de chance. Le Credo ? « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur de la terre et du ciel » ! Bigre, on affirme maintenant que cette toute-puissance n’a rien à voir avec ce que l’expression veut dire chez les hommes, que ce serait une toute-puissance d’amour...mais ceux qui ont composé ce texte semblent bien avoir pensé à la toute-puissance des seigneurs ou puissants d’ici-bas. Puis « Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique, etc », et on décrit, car là on a de quoi, Jésus, c’est concret. Enfin « Je crois au Saint Esprit », point. Pas grand-chose à dire ! Même pas exprimé que ce qui suit, l’Église, la communion des saints, la rémission, est le fruit de l’Esprit, au croyant de le deviner sans être certain que les Pères auteurs y aient pensé quand ils rédigeaient (1).
Le Père Créateur de la terre a peut-être déclenché un « big bang » voici quinze milliards d’années, puis les choses sont allées… Est-il tellement important que ce soit l’action du Père ? Qu’en savons-nous, d’ailleurs ? Ce que nous pouvons savoir du Père, ou de la Trinité, c’est ce qui nous concerne, nous les hommes, et que nous a révélé Jésus-Christ en ouvrant notre esprit sur l’Écriture et son propre témoignage. Il semble donc plus pertinent de savoir qui est notre créateur, nous qui sommes cette minuscule portion de l’univers arrivée à la vie, puis à la conscience. Ce n’est pas n’importe quelle conscience, mais la conscience des autres qui fonde notre propre humanité, humanité qui se réalise grâce à notre relation avec le prochain. L’homme sort de lui-même pour entrer dans l’histoire, conscience de ceux qui le précèdent. L’homme construit un sens pour sa vie, conscience d’un sens et d’un avenir qui nous tire. C’est en approfondissant notre être d’hommes que nous pouvons approcher ce que peut être le Dieu créateur.
« Veni Creator Spiritus » chante-t-on à la Pentecôte. Le reste de l’hymne déroule ce qu’on pense des qualités de l’Esprit, ce n’est pas le plus intéressant, mais ce premier vers qui appelle l’Esprit « créateur », cela nous semble primordial. L’Esprit, ce souffle de vie, est notre créateur. Tout au long de sa vie, Jésus était rempli de l’Esprit, vivait de l’Esprit, les Évangiles y reviennent constamment. Puis l’Esprit a fait de Jésus un ressuscité et nous donne la vie : « Si l’Esprit qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité des morts le Christ Jésus donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8, 11). C’est par l’Esprit que le Père donne la vie, le Père est créateur par l’Esprit, c’est l’Esprit du Père qui nous crée à chaque instant. C’est l’Esprit qui nous fait tenir debout, libres, devant le Père : « Aussi bien vous n’avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit d’adoption qui nous fait crier « Abba, Père ». L’Esprit lui-même témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 15-16).
Tant qu’ils ont vécu avec Jésus, les apôtres sont restés serviteurs, ils suivaient. « L’Esprit n’était pas encore donné, Jésus n’ayant pas encore été glorifié » (Jn, 7, 39). Parce qu’il est parti, Jésus a pu leur envoyer l’Esprit qui est au cœur de leur vie de ressuscités. Pour cela il lui a fallu passer par la mort et la résurrection. Nous sommes baptisés par l’Esprit en étant plongés dans sa mort et régénérés par sa résurrection. L’eau du baptême n’est pas là pour nous laver d’un « péché originel » mais pour nous plonger dans la mort du Christ, gage de résurrection. C’est l’Esprit qui est à l’œuvre. Notre responsabilité de chrétiens est de l’accueillir.
Le péché, dans nos actes, est la mise de côté de l’Esprit, la préséance que nous nous accordons sur l’Esprit qui nous donne vie, et qui pardonne toujours. Mais le péché contre l’Esprit, seul, n’est pas pardonnable : « En vérité, je vous le dis, tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes autant qu'ils en auront proférés ; mais quiconque aura blasphémé contre l'Esprit Saint n'aura jamais de rémission : il est coupable d'une faute éternelle". (Mc 3, 28-29) » Marc ajoute : « C'est parce qu'ils disaient : Il est possédé d'un esprit impur ». (Mc 3, 30) Qu’est-ce à dire ? Ce péché, vu le contexte, est de proclamer que l’Esprit est esprit du mal, c’est donc le rejet total de l’Esprit en le renvoyant dans une opposition radicale à Dieu. Si l’Esprit nous anime, si c’est Lui qui nous pardonne, comment le peut-il s’il est renvoyé comme esprit du mal ? Là se trouve, semble-t-il, la raison de cette dureté des paroles de Jésus.
Si l’Esprit est créateur de l’homme, il l’est de tout homme. Les prophètes l’ont annoncé de multiples fois, comme par exemple Joël : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair... même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là je répandrai mon Esprit » (Joël 3,1-2), repris (et déformé !) par les Actes : « Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute créature » (Act 2, 17), où il est clair dans le texte qu’il s’agit de toute créature humaine. En nous faisant disciples du Christ ressuscité vivant de l’Esprit, notre baptême engage notre responsabilité d’être témoins parmi les hommes de leur libération et de leur appel à vivre dans l’amour. Ce n’est pas Jésus, mais l’Esprit qui a fondé l’Église (pas l’institution qui n’est qu’un épiphénomène!), c’est en Eglise que nous témoignons.
Cet Esprit est répandu sur tous les hommes, et c’est l’Esprit qui vit en eux qui peut leur faire découvrir l’amour de Dieu (qui, comme le dit saint Jean, passe par l’amour des hommes) par des voies que nous ignorons. S’il est exact que notre propre être est réponse à l’autre qui nous établit comme humain, qu’en cela réside notre humanité, alors l’Esprit qui vit en l’autre nous est donné à travers lui. Il est de notre responsabilité de recevoir l’autre, quel qu'il soit, chrétien ou non, pour pouvoir accueillir l’Esprit et en vivre.
Marc Durand
1 - Il existe aussi une autre version : « Je crois en l'Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ; il procède du Père et du Fils. Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes. » Il s’agit là de théologie abstraite de peu d’intérêt car coupée de la vie, qui s’attache plutôt à régler des querelles proprement byzantines, entre autres celle du « filioque ».