Pourquoi le Samedi saint ?
Pourquoi le Samedi saint ? Question à laquelle renvoie aussi la pénétrante analyse – l’interpellation devrait-on dire - de Frère John, de Taizé. L’esquisse de tentative de réponse à cette interrogation qui est notée ci-après, tirée d’un texte paru en avril 2015 sur le blogue http://penserlasubversion-didierlevy.blogspot.fr (1) avait d’abord pris la forme d’un commentaire écrit sous un lumineux article de Marc Durand, Petite méditation pascale, que venait de publier Garrigues & Sentiers sur ce sujet du ‘’samedi saint’’.
Un commentaire qui partait d’un questionnement, aussi fondamental que déroutant, énoncé par cet article : « Mais pour passer du vendredi au dimanche, il y a le samedi. Pourquoi donc Jésus n’est-il pas ressuscité dès son passage par la mort ? (...), le sabbat commence, il aurait dû alors se lever ! ». J’en propose la relecture dans la mesure où il me semble s’accorder à la démarche spirituelle par laquelle Frère John nous invite à passer « derrière le voile ».
‘’J'ai également tardé à prendre conscience de cette énigme. La réponse me semble être – elle se profile dans ce « le sabbat commence » – que la transcendance, (consacrant) l'événement inouï par lequel elle acte le salut de l'humanité dans l'achèvement sur la Croix du parcours messianique, fait sienne l'observance du sabbat : le Christ meurt avant que le sabbat ne commence, « à la sixième heure », et l'obscurcissement du ciel dure jusqu'à la neuvième ; et ceux qui l'ont fait condamner s'inquiètent auprès de Pilate que son corps puisse risquer de rester attaché à la croix le jour du sabbat. Cette (…) gestion du temps qui positionne la crucifixion en regard du repos sabbatique a pour parallèle la symbolique de la Résurrection qui renvoie le constat et la proclamation de celle-ci au dimanche, c'est à dire à la fois au matin de Pâques et au jour suivant le sabbat.
‘’Le dessein de Dieu dans l'exposition de la victoire sur la mort épouse le parcours temporel de la prescription du repos du septième jour, insère cette suspension du temps destiné aux choses courantes, banales et nécessaires – la quête des ressources matérielles –, et ménage le temps de respiration accordé à l'Esprit et à ses œuvres : c’est dans ce temps-là que le monde en quelque sorte s’arrête pour laisser s’accomplir la Résurrection. C'est aussi, et suivant la logique interne de la Bible hébraïque, un exemplaire éclairage porté rétroactivement sur la nature et la dimension spirituelle de ce sabbat qui « a été donné aux hommes ».
‘’Quant à la ‘’descente aux enfers’’, elle m'a toujours paru être une formulation, ou une traduction, malheureuse par sa connotation hellénisante : elle renvoie l'imagination à la représentation des enfers propre à la mythologie grecque, aux héros fabuleux qui l'habitent ou à la nacelle de Charon ; ‘’séjour des morts’’ s'accorde en revanche avec l'eschatologie chrétienne, sans lever en rien le mystère de la configuration de ce lieu sensé être celui de l'attente.
‘’ Pour ma part, je me le représente comme une figure proposée à notre intelligence de la foi pour imager le temps, fût-il celui de l'instantanéité, du passage de l'univers de la Création visible à l'Univers où la fin des temps est accomplie, de l'Univers dominé par la mort à l'Univers de la vie éternelle où le projet de la transcendance est pleinement réalisé.
‘’Un séjour des morts qui ne se comprend pas dans une chronologie, car la temporalité et les autres mesures qui bornent et délimitent notre monde sont en tout étrangères, nulles et non avenues, pour la transcendance, mais dans l'unité qui en tout chose est l'attribut de l'Être. Le passage du Christ par le séjour des morts n'est alors qu'une métaphore du passage entre les parallèles de la mort et de la vie, les parallèles de deux univers. Une métaphore qui vient s'accorder à la mise en lumière de la puissance symbolique du sabbat que la transcription évangélique de l'histoire de la Révélation devait comporter et transmettre’’.
Mais infiniment plus notable que ce qui précède, devrait s’inscrire en notre mémoire, et en notre esprit, la note de bas de page n° 4 renvoyant à l’ouvrage de Frère John. Le passage qui y est cité, développant ‘’le surgissement du « kairos » de Dieu dans le « chronos » de ce monde’’, est l’un des plus magnifiques qui puisse se donner à lire en tant que percussion imprimée dans l’intelligence de la foi.
Didier Levy
1. Et édité par ce blogue en date du 4 avril 2015 dans sa "collection LUMENA" (sous le pseudonyme de Denis KAPLAN).