La Résurrection bouscule toutes nos idolâtries
Dans la tradition chrétienne, Pâques se définit comme le huitième jour, celui qui s’ajoute aux sept premiers de la création que nous raconte le livre de la Genèse. La liturgie du temps pascal invite les chrétiens à prendre conscience de cette nouvelle naissance du monde. Le bassin des anciens baptistères où le catéchumène était immergé possédait huit côtés pour manifester cet espace et ce temps de recréation auxquels, nouveau baptisé, il accédait. Les sept premiers jours de la création sont un donné qui tantôt nous plonge dans l’exubérance de la beauté du monde, tantôt nous pousse à la révolte contre un destin aveugle. Le huitième jour annonce qu’il n’y a d’accès authentiquement humain au monde que par une épreuve personnelle, celle justement par laquelle est “ passé ” le Christ.
L’existence chrétienne ne se réduit pas à une élévation spirituelle jetant sur les misères du monde un regard distancié ou à l’enfermement dans un ordre moral censé la protéger. Au cœur de la vie des hommes, elle témoigne qu’aucun désastre n’est ultime et que personne n’est prisonnier de ses pires forfaitures. Il n’y a pas un autre monde où l’on serait protégé des combats politiques et des âpres conflits d’intérêts qui traversent nos existences. À la Samaritaine lui demandant s’il existe un lieu privilégié pour le nouveau culte, le Christ répond que la question n’est plus de prier ici ou là, mais “ en esprit et en vérité ” (Jn, 4, 21-24). Or la question de la vérité ne résulte pas d’une érudition, mais du choix fondamental de ne plus faire de nous et de notre histoire le centre du monde. Pâques nous permet de dépasser la crainte de la mort, source de nos égocentrismes, pour parvenir à la liberté de vivre le monde non plus dans les catégories de la lutte et du destin, mais dans celles de la grâce et du don.
La résurrection du Christ rend toutes les résurrections possibles : voilà le message fondamental de ce temps pascal. Elle n’est pas la revanche de Celui qui a été injustement et ignominieusement condamné. Elle ne se vit pas dans le triomphe des armes, mais dans la fragile lumière d’une matinée de printemps où quelques femmes découvrent un tombeau vide.
De Moscou à Washington en passant par plusieurs capitales européennes, certains responsables de différentes églises chrétiennes appuient aujourd‘hui des politiques nationalistes au nom de ce qu’ils considèrent comme la « résurrection » du message chrétien. Il suffit de relire l’Evangile pour découvrir que le Christ ne cesse de dénoncer ceux qui cherchent à transformer son message en justification nationaliste en leur demandant de ne pas confondre Dieu et César.
À la veille de son Ascension, le dernier message de Jésus à ses disciples inquiets de voir le royaume où ils espéraient avoir les bonnes places leur échapper définitivement, est de les envoyer “jusqu’aux confins de la terre” (2) pour qu’ils deviennent des acteurs de la fraternité universelle. En cela réside le fondement de toute mondialisation qui soit autre chose que la juxtaposition conflictuelle de flux financiers mondiaux incontrôlés et de replis identitaires religieux ou nationalistes.
Bernard Ginisty
- Actes des Apôtres, 1, 6-8 : « Après sa mort, Jésus s’est présenté vivant, durant quarante jours. (…) Lors d’un repas, il leur a dit : Si Jean a baptisé par l’eau, vous, dans un jour prochain, c’est par l’Esprit saint que vous serez baptisés. Ceux qui étaient rassemblés là lui ont demandé : Est-ce maintenant que tu vas restaurer la royauté d’Israël ? Il a répondu : Vous n’avez pas à connaître le calendrier que mon Père a fixé par sa seule autorité. Et encore : de la venue de l’Esprit saint sur vous, vous recevrez une puissance. Vous deviendrez mes témoins dans Jérusalem, en Judée et en Samarie, et jusqu’aux confins de la terre ».