Jeudi, Vendredi et Samedi saints : le « triduum pascal »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Ces trois « jours saints » sont une occasion de nous pencher sur l’essentiel du message évangélique. On peut parier que l’enseignement que nous donnent les évangélistes en ce temps si fort est la quintessence de ce qu’ils ont compris en suivant Jésus sur les routes de Galilée, et surtout peut-être après la Résurrection, dans leur réflexion théologique naissante. L’Evangile de Jean, en particulier, est d’une très grande richesse.

 

C’est à partir de leur foi en la Résurrection que les premiers chrétiens ont compris et raconté la vie de Jésus. La Résurrection, dernier événement de sa vie terrestre est ainsi le premier événement dans la compréhension de ce qui s’est passé. En ouvrant les « Temps Nouveaux », elle est la grille de lecture de la vie de Jésus et des nôtres. En conflit avec la réalité au sujet de notre présent et de notre avenir, elle en est aussi la clé.

 

« Ceci est mon corps », le pain partagé, Corps du Christ, est une réalité bien difficile à pénétrer. Ce qui est certain, c’est que nous sommes le Corps du Christ et qu’en partageant ce pain nous signifions cette réalité. L’Eucharistie est le sacrement par excellence, les autres, divers et pas toujours reconnus, se greffent sur celui-ci. Le sacrement est signe de la présence de Dieu dans l’acte posé, l’Eucharistie est signe de la présence réelle du Christ parmi nous (nous ne parlons pas de substance, notion qui a agité les théologiens depuis très longtemps mais a plus apporté de confusion que de clarté!). Curieusement, si tout cela se passe au cours d’un repas, d’un partage donc entre Jésus et les disciples, il n’est pas question chez Jean de la « consécration » du Corps et du Sang. Ces chapitres (13 à 17) dans lesquels Jean résume tout l’enseignement de Jésus sur son Père, sa relation au Père, notre place au centre de l’amour trinitaire sont le cœur de la Révélation. Jean, qui écrit bien après les autres évangélistes et après Paul, insiste sur l’amour que nous sommes appelés à vivre en Dieu trinitaire et ne s’intéresse pas aux « paroles de la consécration ». Ce sont les synoptiques et Paul qui énoncent ces paroles, et encore Paul et Luc écrivent-ils que la coupe est « l’Alliance dans mon sang », non le sang. Il semble que pour Jean c’est le texte sur le « pain de vie » (Jn 6, 53-59), texte hautement symbolique, qui exprime le mieux ce que peut signifier ce « manger mon corps » et « boire mon sang ». Au moment crucial de la Cène, il nous appelle à une compréhension en profondeur des relations de Jésus avec son Père dans l’Esprit et à notre place dans cette économie. Pour lui, là est l’essentiel.

 

Mais juste avant ce partage du pain se situe le lavement des pieds. Cela semble incongru, à moins que cela ne soit essentiel, situé au cœur du mystère du Christ. Le service est donc la condition pour partager le pain : « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13, 14) et encore : « Si je ne te lave pas, tu ne peux avoir de part avec moi » (Jn 13, 8). C’est dire l’importance qu’il faut apporter au service si l’on veut être membres du Corps du Christ partagé, « avoir part » avec lui.

 

Après le partage du Corps du Christ, c’est son corps bien réel, dans sa chair, qui est torturé, crucifié. Après le symbole, la réalité. Laver les pieds, très beau symbole, mais après il nous faut entrer dans le concret, et cela peut faire mal. La tentation d’en rester au symbole – ah les belles messes ! – est grande, mais c’est à un engagement autrement exigeant que s’est soumis Jésus et auquel il nous appelle. Par son Incarnation, Dieu a voulu pénétrer la racine du mal qui nous étouffe, pour nous en libérer définitivement. Evidemment si nous suivons Jésus, nous sommes, nous aussi, amenés à cette lutte contre le mal en le prenant sur nous. Jésus est passé par l’abandon de tous. Cet homme n’avait même pas la consolation du Père qui l’aurait dispensé de toute cette souffrance morale qui le détruisait comme elle nous détruit. Il n’y a pas de miracle, notre monde est l’affaire des hommes et Dieu se tait. Mais si nous lisons notre histoire à la lumière de ce qui vient, de la Résurrection, l’espérance (qui ne nous dispense de rien) peut advenir. Notre souffrance est un passage obligé (pas recherché !) de même que notre mort, car « le serviteur n’est pas plus grand que son maître » (Jn 13, 16). Et c’est la mort, ignominieuse, de Jésus qui est signe de sa divinité, reconnue par un païen, le centurion au pied de la croix.

 

Que s’est-il passé entre le vendredi 15 heures et l’aube de Pâques ? Rien n’est dit, il est probable que si les quatre évangiles laissent s’écouler ce temps, c’est pour manifester que Jésus était bien mort : dans la tradition juive la mort était considérée certaine à partir du troisième jour. Plus tard on a parlé de la descente aux enfers. Le Corps du Christ n’est pas fait seulement de ceux qui le connaissent ou l’ont connu, mais de tous les hommes, passés ou à venir, qui, d’une manière ou une autre, répondent à son appel. Cette foule dépasse de beaucoup celle des « croyants », c’est la foule de tous les « hommes de bonne volonté », ceux qui acceptent simplement de revêtir la robe nuptiale, c’est-à-dire de ne pas refuser la part d’humanité qui les fait frères les uns des autres, au service les uns des autres. C’est cette foule innombrable que Jésus ramène des enfers, foule passée et à venir, car on n’est plus dans le temps historique mais dans celui de l’éternité. Le tombeau, lui, est déjà vide, le monde nouveau arrive, les frontières sont abolies, Jésus entre dans la nouvelle création.

 

Cela est révélé au matin de Pâques par Jésus dans son Corps glorieux dont nous sommes membres. Le Jésus ressuscité est transformé totalement, il ne va plus arpenter les chemins de Galilée, mais il donne sens à toute son histoire terrestre en inaugurant le monde transformé. Cette libération qu’il a reçue et qu’il nous propose n’est pas encore advenue pour nous. Nous n’avons pas accès à ce monde auprès du Père (« Ne me touche pas » Jn 20, 17), nous ne le possédons pas. Notre libération se fait pas à pas dans notre réalité terrestre afin d’être accomplie lors de notre résurrection annoncée par celle de Jésus.

 

Marc Durand

 

Publié dans Signes des temps

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