Croix et Résurrection, deux faces d’un même acte
Si nous voulons comprendre et saisir Jésus dans la vérité qui est la sienne, selon les témoignages du Nouveau Testament, nous devons lire son histoire dans deux sens différents : à partir du commencement, comme toute histoire, mais aussi à partir de l’arrivée, sa Résurrection. C’est cette seconde lecture, à rebours, qui donne tout son sens à la première dont on se contente d’ordinaire. L’histoire de Jésus ne peut être comprise si on ne la lit pas en rapport avec son avenir qui donne le sens de la Croix. Notre foi est alors primordiale car sans elle il n’y a pas de Résurrection, c’est dans la foi que nous pouvons essayer de la comprendre.
La Résurrection à venir du Jésus terrestre a pris pour le Christ la forme de la Croix. La fin de l’histoire est présente dans la réalité de l’histoire. L’avenir du ressuscité s’incarne dans le passé du crucifié.
La Résurrection qualifie celui qui est crucifié comme Christ, l’Oint de Dieu. Elle qualifie sa passion et sa mort comme événement de salut pour nous. Elle ne réduit pas à néant la Croix : « Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais annoncer l’Evangile, et sans recourir à la sagesse du discours, pour ne pas réduire à néant la Croix du Christ. » (1 Cor, 1, 17)
La Croix et la Résurrection forment un tout que rien ne peut séparer. La mort de Jésus n’est pas seulement le résultat d’une fidélité à sa mission, comme la mort des autres prophètes. Il s’agit de la mort du Ressuscité et de la Résurrection du crucifié, cette mort est le passage obligé de Dieu qui veut aller jusqu’à la racine du mal pour nous en délivrer. Jésus est mort pour nous, pour que nous ayons la vie (il semble bien que l’expression de « mort pour nos péchés » soit plus tardive et déforme quelque peu l’annonce de « la mort pour nous »). Le don que nous fait le Christ sur la Croix est la dimension terrestre de sa résurrection eschatologique, c’est-à-dire qui ouvre le monde à venir déjà présent par lui. Alors la « descente » de Jésus au creux du mal du monde ouvre pour nous la liberté et la justice promises par sa Résurrection. J. Moltmann écrit : « Le règne du Christ doit être décrit comme la puissance de la Résurrection en un monde encore soumis à la mort ».
La force de réconciliation issue de sa passion et de sa mort est une puissance de Résurrection. La passion et la mort ne sont pas dépassées, ou superflues grâce à la Résurrection, elles en font partie. Elles sont le fondement du monde nouveau qui a pu s’ouvrir pour nous grâce à l’Incarnation de Dieu dans notre monde, à sa descente au cœur du mal dans sa passion et sa mort.
Le monde nouveau, déjà présent par la Résurrection, mais à venir car pour le moment seul Jésus est ressuscité, est le monde de la justice et de la liberté (contrairement à celui de la Loi). Il est à l’œuvre dès maintenant et guide tout notre engagement à construire le Royaume. Cet engagement passe par la passion et la mort qui prennent sens par notre résurrection promise à ceux qui répondent à l’appel : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mai qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile, la sauvera » (Mc 8, 34-35).
La « mort-Résurrection » du Christ, acte fondateur du monde nouveau qui donne son sens à notre monde actuel, est aussi révélateur de la divinité de Jésus. Elle se révèle dans son abaissement (cf. l’hymne de l’épître aux Philippiens : « Lui... qui s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur... » Ph 2, 6-11) et l’humanité de Jésus se révèle dans son élévation (« Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom... » Ph 2, 9). La Croix brise aussi la notion du Dieu en une personne, pour ouvrir sur la Trinité. Sans la Trinité, l’Incarnation et la Croix ne sont plus possibles. La Croix se trouve au centre de l’être trinitaire de Dieu, elle sépare et unit les personnes dans leurs relations réciproques. Et c’est par la « suite du Christ », Incarnation de Dieu, que nous sommes appelés à participer à cette vie de la Trinité.
Marc Durand
Cet article doit beaucoup au théologien Jurgën Moltmann, en particulier à son livre Le Dieu crucifié, éd. du Cerf, 1999.