« Reprendre la route et aller, de commencement en commencement » Frère Roger de Taizé *
À l’occasion de la quarantième rencontre européenne des jeunes organisée à Bâle en décembre 2017 par la communauté de Taizé, le journal La Croix écrivait : « Les travaux de l’Église (catholique) de France, préparatoires au synode sur les jeunes, qui se réunira à Rome en octobre prochain, viennent encore de le montrer. Dans la totalité des consultations menées par les diocèses, la communauté œcuménique fondée en 1940, en Bourgogne, par frère Roger Schutz est mentionnée par les jeunes » (1).
Voilà plus de quarante ans que l’affluence des jeunes du monde entier se maintient à l’invitation de la communauté Taizé. Celle-ci se démarque de beaucoup de mouvements qui veulent renouveler les vieilles Eglises sur deux points essentiels : le refus de se prétendre des « maîtres spirituels » et de céder à la tentation de s’institutionnaliser en « mégachurch ». Il s’agit, pour frère Roger de vivre ce qu’il appelle « la dynamique du provisoire » (2) : « Accueillir avec mes frères tant de jeunes à Taizé, c’est avant tout être pour eux des hommes d’écoute, jamais des maîtres spirituels. Qui s’érigerait en maître pourrait bien entrer dans cette prétention spirituelle qui est la mort de l’âme » (3). Et il explicite plus encore ce respect du cheminement personnel de chacun : « A tout âge, Dieu confie quelqu’un ou quelques uns à écouter, à accompagner jusqu’aux sources du Dieu vivant. De telles sources sont de Dieu, personne ne peut les créer. Qui voudrait s’y employer n’amènerait pas à Dieu, mais à lui-même. Cette attitude a un pouvoir de confusion. Pour l’Evangile, il n’y a pas de maîtres spirituels » (4).
Frère Benoît, responsable de la communication de la communauté insiste sur la liberté d’appartenance institutionnelle laissée aux jeunes. « Frère Roger avait le souci que les jeunes ne se sentent pas attachés à Taizé mais soient renvoyés auprès de leurs Églises locales. Taizé n’est pas un mouvement de jeunesse, ni une institution d’Église parallèle » (5). Devant un rassemblement des groupes charismatiques à Lyon, frère Roger précisait son projet : « Il n’est peut-être pas superflu de dire qu’à plusieurs reprises, dans notre existence de communauté de Taizé, nous avons été sollicités à constituer une Église nouvelle. Une telle création aurait fait mentir notre recherche de réconciliation, notre passion de l’Église et de la vocation œcuménique. (…) Ceux qui tentent de créer une nouvelle Église connaissent souvent au départ une ferveur inouïe, mais avec le temps, cette nouvelle Église tombe dans les travers habituels. En se tenant à l’intérieur, on ne cherche pas à accaparer pour soi-même, à constituer des groupes de pression, tout petits ou immenses. On a conscience de n’avoir aucun monopole, pas plus celui de la vocation œcuménique que celui de la vocation charismatique » (6).
Les crises profondes que traversent nos sociétés suscitent une inflation de guides psycho-spirituels en tous genre. L’urgence aujourd’hui est d’aider chacun à retrouver sa source intérieure. Lors de sa venue à Taizé en 1986, le pape Jean-Paul II exprimait comment il voyait la vocation de « ressourcement » de ce lieu : « On passe à Taizé comme on passe près d’une source. Le voyageur s’arrête, se désaltère et continue sa route ».
Bernard Ginisty
(*) Frère ROGER, dernières paroles publiques prononcées à la fin de la rencontre de Lisbonne, en décembre 2004. Il mourra assassiné à 90 ans pendant l’office du soir, à Taizé, le 16 août 2005.
(1) Taizé, les raisons d’un succès inoxydable, journal La Croix du 27/12/2017.
(2) Dans une Lettre du concile des jeunes à toutes les générations rendue publique par Frère Roger le 10 décembre 1977 à Breda, aux Pays-Bas, on peut lire ceci : « Le moment est maintenant venu de multiplier à travers le monde des lieux de partage où lutte et contemplation soient étroitement liées dans la vie quotidienne. À beaucoup de femmes et d’hommes, il s’agira simplement de révéler qu’ils le vivent déjà, peut-être sans le savoir. Ces lieux de partage seront constitués de quelques jeunes ou d’une communauté, d’une famille ou d’un couple, parfois d’une personne isolée qui en regroupe d’autres autour d’elle. Ils prendront des visages très divers selon les âges de la vie et les situations de chacun. Ce seront des lieux d’un accueil simple, une demeure aux moyens élémentaires. Parvenir à une immense simplification supposera un radicalisme dans l’audace. Ces lieux de partage ne seront reliés ni entre eux ni au concile des jeunes par des liens organiques, comme s’il s’agissait d’un mouvement ou d’une nouvelle structure qui cherche à faire des adeptes. Ils n’existeront que dans la dynamique du provisoire », in Frère ROGER, Aux côtés des plus pauvres, éd. Les Presses de Taizé, 2017, p. 91-92.
(3) Ibidem, p. 143.
(4) Ibidem, p. 221.
(5) In article cité du journal La Croix.
(6) Frère ROGER, op. cit., p. 63-64.