La grâce d’être « ex-haussé »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Dans un récent ouvrage où il témoigne de l’influence de l'écrivain Antoine de Saint-Exupéry sur son itinéraire spirituel, Stan Rougier écrit ceci : « Les écrits de Saint Ex n'étaient pas de la simple littérature. Ses paroles étaient criantes de vie. Elles me permettaient de respirer plus haut. Dieu n'était pas là pour nous exaucer mais pour nous « ex-hausser ». C'est-à-dire nous conduire à un point de vue plus élevé. » (1). Tous les grands spirituels s’efforcent d’éviter de réduire « Dieu » à une sorte de Samu qu’on sollicite chaque fois que notre confort ou nos équilibres sont atteints. La Bible nous apprend que toute crise est une invitation à l’exode hors des systèmes de sécurités que suscitent nos peurs.

 

Maître Eckhart, figure majeure des mystiques rhénans, écrivait ceci : « Sache que si tu cherches de quelque manière ton bien propre, tu ne trouveras jamais Dieu parce que tu ne cherches pas exclusivement Dieu. Tu cherches quelque chose en même temps que Dieu et c’est exactement comme si tu faisais de Dieu une chandelle avec laquelle on cherche quelque chose, et quand on trouve les choses qu’on cherche, on rejette la chandelle » (2).

 

Thérèse d’Avila, réformatrice de l’Ordre du Carmel, première femme proclamée par l’Eglise catholique « docteur de l’Eglise » par Paul VI en 1970, s’adressait ainsi à ses religieuses : « Je ris ou plutôt je m’afflige en voyant ce que l’on vient nous prier de recommander à Dieu. C’est pour des revenus, pour de l’argent qu’on veut que nous sollicitions Sa Majesté ! Et je voudrais, moi, voir plusieurs de ceux qui en usent ainsi, implorer la grâce de fouler tout cela aux pieds ! (...) Eh quoi ! Le monde est en feu ! Et nous perdrions notre temps à présenter à Dieu des requêtes qui, si elles étaient exaucées, feraient peut-être que nous aurions une âme de moins dans le ciel. Non, mes sœurs, ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu des affaires si peu importantes » (3).

 

Dans les six derniers mois de sa vie, l’essayiste et romancière Christiane Singer, affrontant le cancer qui devait l’emporter, a tenu un journal publié sous le titre : Derniers fragments d’un long voyage dans lequel elle écrit ceci : « Ceux qui voient dans la maladie un échec ou une catastrophe, ils n’ont pas encore commencé à vivre. Car la vie commence au lieu où se délitent les catégories (…) On peut aussi monter en maladie vers un chemin d’initiation, à l’affût des fractures qu’elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu’elle ouvre vers l’infini. Elle devient alors l’une des plus hautes aventures de la vie. Si tant est que quelqu’un veuille me la disputer, je ne céderais pas ma place pour un empire. D’ici je vois plus loin dans la vie et dans la mort que je n’ai jamais été en mesure de le faire. La vue est imprenable et donne le vertige » (4).     

 

Passer d’une prière qui demande à être exaucé, c’est-à-dire de colmater toutes les brèches des systèmes de sécurité que nous nous sommes construits, à une prière qui vise à nous déplacer pour nous ex-hausser  constitue le cœur de toute démarche spirituelle. 

 

Bernard Ginisty

 

  1.  Stan ROUGIER, « Que peut-on dire aux hommes ? » Saint Exupéry en approche de Dieu. Biographie spirituelle, éd. Mame, 2017, p. 22
  2.  Maître ECKHART (1260-1328), Sermons, t. I, traduction de Jeanne Ancelet-Hustache, éd. du Seuil, 1974, p. 65.
  3.  Thérèse d’AVILA (1515-1582), Le Chemin de la Perfection I, 5.
  4.  Christiane SINGER (1943-2007), Derniers fragments d’un long voyage, éd. Albin Michel, 2007, p. 28.

Publié dans Réflexions en chemin

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A
Toujours aussi enrichissant de vous lire ... Merci pour tous vos articles et liens.
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