Comment dénommer un "Féminisme Radical" ?
Le féminisme devrait être déclaré d’«utilité publique». Soyons honnêtes, sans lui et sa défense — parfois agressive, mais non sans raison — de la cause des femmes, le respect de l’«autre sexe», la recherche de l’égalité des droits, la révision des situations sociales, l’ajustement des salaires … auraient-ils progressé comme ils l’ont fait depuis un demi siècle, même s’il reste encore beaucoup à faire ?
Pour distinguer ce mouvement nécessaire et salutaire des excès de zèle de militantes activistes, il faudrait inventer un nouveau mot. Les exemples en appelant à sa nécessité se multiplient actuellement.
Vous avez dit excès de zèle ? En effet, faire tuer Don José par Carmen ne me semble pas faire avancer la question féminine. Une femme qui tue n’est pas plus exemplaire qu’un homme qui tue. En quoi serait-elle moins violente que celui-ci que l’on condamne pour cela ? Alors que faire ? Changer encore la fin de l’opéra de Bizet ? Je proposerais bien : «ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », mais on va m’accuser soit de sacrifier aux «bons sentiments», soit de ringardisme patriarcal. En outre — n’est-ce qu’accessoire ? — sur le plan culturel, il parait discutable de modifier une œuvre sans l’aval de l’auteur, surtout quand le changement n’apporte pas à la pièce une «amélioration» indiscutable. Les adaptateurs manquent-ils à ce point d’imagination qu’ils ne puissent «créer» qu’en phagocytant une œuvre concurrente ? Ou cherchent-ils, tout simplement un scandale publicitaire ?
Autre exemple, l’«écriture «inclusive». Me considérant comme féministe (élevé dans cet esprit par une mère militante et après 40 ans de travaux sur l’histoire des femmes), j’ai longtemps pratiqué une écriture inclusive initiale du type : «Cher(e)s ami(e)s… ». Mais depuis que la revendication de cette pratique a voulu atteindre tout un texte, j’ai renoncé. Cela donne une langue éclatée, laide à lire, impossible à dire à haute voix. Surtout, c’est un pas de plus dans le marais de l’ignorance historique et le risque de nous entraîner dans une guéguerre linguistique infinie.
La querelle sur le «patrimoine» est à cet égard symptomatique. Bien sûr qu’il y a dans ce mot la racine pater, mais elle était logique parce que, depuis des millénaires dans la civilisation «occidentale», la transmission des biens s’est faite par les hommes. Au XVIIe siècle, même les biens propres de la femme étaient-gérés par son mari, sous la réserve légale qu’il ne puisse disposer du montant de sa dot, même du consentement de l’épouse afin d’éviter toute pression sur elle. Ce n’était pas juste, mais ça s’est passé ainsi, on ne peut réécrire le passé en termes et en concepts contemporains. La langue garde des traces de l’histoire, il faut y réfléchir et en montrer le poids dans les préjugés construits au fil du temps. Et il est bien et bon de corriger aujourd’hui les anomalies sociales, mais sans poser de fausses questions. Notons que si l’on parlait de «matrimoine», le scandale serait inversé, mais il n’en subsisterait pas moins. Dans une perspective irénique, parlons d’«héritage», mais ça ne couvre pas entièrement la réalité de cette notion.
En poursuivant l’échenillage de notre langue pour lui ôter toute ambiguïté «sexiste», on devrait alors appeler l’école «maternelle» : école parentale, ce qui n’évoque rien de son projet ni de ses méthode. Soit encore le mot «matrimonial», désignant «ce qui concerne le mariage» (Cf. le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), il semble exclure l’homme (vir) du couple «matrimonial». Etc.
Il y a toujours eu débats, parfois rudes, entre les différentes branches du féminisme et ce depuis les années 70 et l’avénement de ce mouvement, à propos des relations aux hommes ou de la maternité, par exemple. Il ne serait pas abusif de distinguer les féministes — femmes ou hommes — qui prônent l’égalité des sexes et combattent pour elle, et celles (car il s’agit principalement de femmes) qui font flèche de tout bois pour maintenir, plus ou moins consciemment, une guerre des sexes toujours latente… comme toutes les guerres.
Je n’en suis pas satisfait car le terme n’est pas euphonique, mais pour ces dernières je proposerais de parler de «féminalisme». A vous ami(e)s lecteurs et lectrices de trouver mieux.
Jean-Baptiste Désert