La transmission au risque de la communication

Publié le par Garrigues et Sentiers

La communication est devenue la préoccupation majeure aussi bien des institutions que des candidats à des fonctions électives. Lorsque telle organisation ou tel élu n’ont pas répondu aux attentes qu’ils avaient suscitées, ceux-ci réagissent le plus souvent en évoquant un manque ou une erreur de communication. On s’adresse alors à des cabinets d’experts pour que le message émis devienne plus en phase avec la demande des usagers ou des électeurs.

 

Communiquer serait l’alpha et l’oméga de notre vie collective envahie de plus en plus par ce qu’on appelle le « bruit médiatique ». Ainsi nos sociétés vivraient ce que l’analyste des médias Marshall Mac Luhan avait diagnostiqué il y a déjà une cinquantaine d’années : « le message, c’est le medium » (1). L’effet produit par la technique  et l’outil de communication deviennent plus importants que le message véhiculé par ce support. Ce qui jadis faisait l’objet de discussions, de confrontations, de valeurs partagées, tend à se transformer en techniques de persuasion, « en temps réel », pour parler le langage des informaticiens, à destination d’une société perçue comme gisement d’électeurs ou de consommateurs.

 

Régis Debray est aujourd’hui un des meilleurs spécialistes de la « médiologie » qui étudie les paradoxes de la transmission culturelle. À l’occasion d’un dialogue avec le théologien dominicain Claude Geffré, il analyse avec beaucoup de pertinence ce qui sépare la communication d’une authentique transmission : « J’oppose totalement transmission et communication. Elles sont pour moi comme l’eau et l’huile. La communication, c’est le transport d’une information dans l’espace, la transmission, c’est son transport dans le temps. Plus il y a de communication, moins il y a de transmission. La communication est mon “ennemie n° 1” ; c’est peut-être pourquoi, je n’ai pas de bons rapports avec les journaux… » (2).

 

L’inflation de l’information ponctuelle et événementielle, qui, avec internet, a pris des proportions gigantesques, n’a plus rien à voir avec le lent mûrissement qu’exige toute authentique transmission. Pour Régis Debray, « La transmission, au fond, c’est la culture. L’homme est le seul animal qui ait une histoire parce qu’il est le seul animal à transmettre, les autres ne faisant que communiquer, les malheureux. Et là où il y a continuité cumulative – c’est-à-dire stockage et transmission d’informations puis apprentissage du maniement de ce stock – il y a anthropogenèse, histoire, inscription d’une mémoire, bref, temporalité et culture » (3).

 

L’histoire de l’homme commence lorsqu’un être vivant, parfaitement adapté à son milieu « en temps réel » grâce à l’instinct, se pose une question et diffère sa réponse à la sollicitation de son environnement. L’humanité apparaît avec la « perte de temps » qui consiste à substituer à une réponse immédiate un temps de réflexion et de débat.       Pour Claude Geffré, c’est ce long travail qui caractérise une authentique « religion » qui se veut fidèle à son rôle de transmission : « Je réserve le mot religion à la relation avec une transcendance ayant fonction d’altérité. Une fonction de remise en question et d’interrogation de l’homme par rapport à lui-même. Soit une fonction qui conduit à un décentrement de l’homme vers autre chose que lui-même, vers un ailleurs » (4).

 

Bernard Ginisty

 

1 – Cf. entre autres Marshall Mc LUHAN (1911-1980): Pour comprendre les media, Paris, éd. du Seuil, 1968.

2 – Régis DEBRAY, Claude GEFFRÉ (1926-2017) : Avec ou sans Dieu ? Le philosophe et le théologien, Paris, éd. Bayard, 2006, p. 38.

3 – Ibidem, p. 64.

4 – Ibidem, p. 62.

Publié dans Réflexions en chemin

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