« Le Messie est toujours celui qui arrive. Son intimité est toujours événement »
Dans ce temps de l’Avent, préparation à la fête de Noël, la liturgie chrétienne invite à nous libérer des représentations idolâtres de Dieu pour devenir disponible à un « Dieu inattendu ». C’est la fragilité d’une naissance dans un abri de fortune chez un jeune couple déplacé suite à un recensement administratif qui annonce la venue du Messie. Pour les chrétiens, cet humble événement, célébré le jour du solstice où, après les nuits d’hiver de plus en plus longues, la lumière commence à surmonter les ombres, apparaît comme le recommencement du monde. Loin des fanfares triomphales, des grandes réussites économiques et militaires, c’est cette fragilité qui apparaît plus forte que tout.
Dans un des derniers textes écrits quelques mois avant sa mort, l’essayiste et romancière Christiane Singer s’interrogeait sur ce mystère : « Comment dans cette nuit du solstice d’hiver la plus interminable de l’année, la nuit des tueurs d’Hérode et des longs couteaux tirés, le retournement serait-il possible, seulement pensable ? Comment ? C’est dans cette nuit-là et dans aucune autre que le miracle va advenir. Et il advient ! Car le voilà, le secret des mondes que révèle Noël ! Même si l’homme doit mourir, la vie lui est donnée pour naître, pour naître et pour renaître… C’est la naissance qui lui est promise et non la mort. Tous les chevaux du Roi, tous les tanks et tous les bombardiers de toutes les armées du monde ne sauraient, quand l’heure est venue, retenir les ténèbres ni entraver l’irrésistible montée de l’aube ! Il n’est plus que d’acquiescer pour qu’en toi le miracle s’accomplisse ! » (1).
Vivre sous le mode naissant, c'est traverser ce qui défigure Narcisse qui, croyant réfléchir, ne fait que se réfléchir. Toute naissance suppose un oubli de soi pour permettre à l’autre d’exister. C’est le privilège des femmes de vivre cette expérience dans leur chair, comme l’écrit avec bonheur Christiane Singer évoquant son expérience de mère : « À l’instant de la naissance se manifeste avec force ce qu’exprime Levinas quand il dit : « La civilisation commence quand tu donnes la priorité à l’autre sur toi-même. » Dans la naissance et la révélation de l’enfant, cela vous tombe dessus. Cet intérêt porté à vous-même s’éteint d’un coup et tout est là, dans cet être que vous avez là devant vous. C’est-à-dire que vous faites cette expérience bouleversante que désormais vous êtes sorti de votre prison du je et de l’ego. C’est aussi simple : ça ouvre la faille qui va vous mettre dans la relation à autrui. Pour moi, tout le travail spirituel a commencé après. Avant, c’était impensable. J’étais une intellectuelle, ravie et sans doute généreuse, mais il m’a fallu, pour désirer voir plus loin, traverser cette expérience incroyable d’une fracture en moi, où subitement un être a effacé l’intérêt que je me portais. C’est pourquoi je crois tellement au corps ! » (2).
Noël n’est pas l’émouvante évocation d’une belle histoire, il est l’affirmation que Dieu n’est Messie que parce qu’il est celui qui ne cesse de nous « arriver » comme l’exprime avec bonheur Jean Grosjean : « Si proche que nous soit le Messie, il est celui qui arrive. Son intimité même est toujours événement. Il a fallu être loin de l’évangile pour inventer une ère chrétienne. Pour nous, c’est toujours l’an Un, et chaque jour est le jour de l’An » (3).
Bernard Ginisty
(1) Christiane SINGER (1943-2007), éditorial de Noël 2006 pour l’hebdomadaire Le Figaro Madame.
(2) Christiane SINGER, « L’enfantement, l’éros et la vieillesse », entretien avec Patrice van Eersel in Nouvelles Clés. (http://www.rentrer.fr/archives/2012/07/04/24612626.html)
(3) Jean GROSJEAN (1912-2006), L’ironie christique. Commentaire de l’Evangile de Jean, éditions Gallimard, Paris, 1991, p. 90.