Le politique face au « Bien » et au « Mal »
En 2010, le gouvernement britannique a souhaité que l’ancien Premier ministre, Tony Blair, soit entendu par une commission sur les conditions dans lesquelles il a engagé la Grande-Bretagne, aux côtés des Etats-Unis d’Amérique, dans l’invasion de l’Irak. Rendant compte de cette audition dans un article intitulé « Tony Blair, le dernier croisé » le journal Le Monde écrit ceci : « Pour Tony Blair, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Saddam Hussein était "un monstre". Le dictateur irakien incarnait "le mal". (…) Pétri de religion, pratiquant austère tout récemment passé de l'anglicanisme au catholicisme, l'ancien premier ministre britannique est convaincu depuis toujours, "même si ce n'est plus à la mode de l'affirmer tout haut", écrivait-il en 1994, que le monde se divise entre "le bien et le mal", entre "le juste et l'injuste". La motivation fondamentale de l'invasion anglo-américaine amorcée le 20 mars 2003 est là. » (1)
Une fois encore, au nom de cette science « du bien et du mal » que le livre de La Genèse nous présente comme la tentation première de l’être humain, des dirigeants politiques s’arrogent le doit de s’affranchir des règles de l’éthique, la fin justifiant tous les moyens. Dès lors, les aventures militaires deviennent des croisades qui annoncent une future guerre des civilisations. N’y aurait-il, en politique, que le choix entre des dirigeants arc-boutés sur la certitude qu’ils sont dépositaires du vrai et du juste et un relativisme gérant les crises au hasard des intérêts à court terme des protagonistes ?
De la prison où l’avait enfermé le régime communiste en Tchécoslovaquie, le dissident Vaclav Havel écrivait ceci à sa femme, Olga : « Le fait que toutes les tentatives de créer rapidement le "paradis sur terre" aboutissent inévitablement à "l’enfer sur terre" est exprimé très clairement par l’image du royaume céleste qui n’est pas "de ce monde". C’est vrai : une vie relativement supportable ne peut être assurée que par une humanité qui s’oriente vers "l’au-delà" du monde, une humanité qui, dans tous ces "ici" et "maintenant", se rattache à l’infini, à l’absolu et à l’éternité. Une orientation inconditionnelle vers le "maintenant" et l’"ici", même si elle est très supportable, métamorphose tous les "maintenant" et tous les "ici" supportables en désolation et finit par les tacher de sang » (2). Huit ans après, le 23 janvier 1990, le Président Havel, dans son premier discours devant l’Assemblée fédérale tchécoslovaque définissait comment il comprenait son rôle : « J’aimerais, dans le cadre de mes possibilités limitées, rappeler toujours l’existence d’un horizon spirituel, désintéressé, ou, si vous voulez, non politique » (3).
La tâche du politique est de gérer le présent dans toutes ses ambiguïtés en évitant de se draper dans des valeurs dont il serait le seul dépositaire. Les balbutiements vers une régulation des conflits à travers les institutions internationales sont le signe que ce qu’on appelle la « violence légitime » ne soit pas le seul fait des Etats Nations et reste soumise à l’arbitrage international. Pour que les inévitables compromis que suppose la vie des hommes ne soient pas des compromissions, il est nécessaire de ne cesser de rappeler à l’être humain que son aventure ne s’épuise pas dans le champ du politique.
Bernard Ginisty
(1) Journal Le Monde du 1er février 2010
(2) Vaclav HAVEL, lettre du 4/09/1982 in Lettres à Olga, éditions de l’Aube, 1990, p. 410-411.
(3) Vaclav HAVEL, Pour un président qui préside. Discours prononcé le 23 janvier 1990 à l’assemblée fédérale de Tchécoslovaquie in : L’amour et la vérité doivent triompher de la haine et du mensonge, éditions de l’Aube, 1990, p. 41.