De l’Égalité

Publié le par Garrigues et Sentiers

D’accord avec une grande partie des judicieuses remarques de Guy Roustang et Didier Lévy sur les ambivalences d’une nouvelle Nuit du 4 août. Revenons autrement, peut-être d’une façon moins économique et plus « morale », sur la notion si débattue de l’égalité qui, selon Babeuf, serait le « premier vœu de la nature, le premier besoin de l'homme, et le principal nœud de toute association légitime ».

Mais comment obtenir une égalité réelle, entre les hommes, qui ne soit imposée, avec des risques « liberticides », comme disent les « libéraux » (Dieu ! que ce dernier mot est difficile à définir !) ? De quelle égalité parle-t-on ? Remarquons qu’elle n’est pas « inée », puisque l’on naît grand/petit, fort/faible, plus ou moins intelligent, habile ou pas etc. Ce constat ne saurait justifier, bien sûr, les inégalités actuelles dans le monde entre les personnes, les nations, les peuples. Et l’on sait que le milieu social, l’environnement culturel, l’éducation jouent un rôle déterminant dans la situation de chaque individu.

C’est à partir de ces constats qu’une nécessaire et juste intervention de l’État peut et doit corriger les injustices initiales ou subies du fait de l’histoire. Malheureusement, les expériences vécues jusqu’à présent, qu’elles soient « socialistes » ou libérales, ne révèlent que des approches plus ou moins — et souvent moins — réussies de cet idéal. On est encore loin du projet du « personnalisme communautaire » qui fit rêver notre jeunesse.

On retrouve, à propos d’égalité, l’éternelle opposition entre les « progressistes » et les « conservateurs ». Pour les premiers, l’égalité est fondamentale, irrécusable, absolue, mais risque d’imposer des contraintes plus ou moins lourdes et de rabattre largement l’esprit d’initiative. Quant aux « conservateurs » (au moins les « ultra- »), qui prônent une totale liberté d’être, de penser, d’agir, ils ouvrent la porte à la loi du plus fort et à un conflit latent entre classes irréconciliables : pot de fer contre pot de terre. Les gagnants actuels du libéralisme à tout crin et de la mondialisation ont oublié, pour l’instant, que le pot de fer pouvait être non pas brisé, certes, mais englouti sous la masse de pots de terre entreprenants et déterminés : ça s’appelle une Révolution. Mais là encore, quelle type de révolution a réussi à établir des « lendemains qui chantent » pour tout un peuple : 1789 en Europe ? 1917 en Russie ? 1949 en Chine ? Aujourd’hui en Amérique latine ?

L’égalité est difficile à établir, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer d’y tendre. C’est en son nom que l’on critique, à l’école, l’émulation par le classement, l’esprit de compétition qui, ipso facto, souligne les disparités entre les enfants quelle qu’en soit la cause. Exacerber cet esprit est sûrement une erreur pédagogique, mais — dans l’état actuel de notre société — il faut bien constater qu’il présente encore un caractère spontané chez les enfants : qui est le meilleur à la course ? On se bagarre comme de jeunes chiots pour « dominer » l’autre, montrer qu’on est plus fort, qu’on va plus vite, plus haut. Même si c’est un « jeu », il traduit un état d’esprit. En outre, dans la « vraie vie », la compétition demeure actuellement, à travers la concurrence, le moteur de l’économie et de la vie sociale. Enfin, tous les sports — qui occupent une place si importante dans le divertissement populaire —  motivent les spectateurs et les télé-sportifs par le classement des participants, par la comparaison mesurée de leurs performances au millième de seconde ou au millimètre.

Le problème le plus épineux reste surtout de concilier liberté et égalité. Ce serait possible, synthétique, dans le cadre de la « fraternité ». Mais où en est-on sur ce sujet ?  A peine voit-on émerger, non sans reculs, le concept de solidarité, souvent encore proche de la « charité » de nos arrières grands-mères et qui ne règlent pas les inégalités structurelles. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle, Bossuet considérait, en un principe qui pouvait être controuvé dans les faits, que la richesse ne se justifiait que si elle portait secours aux pauvres ; et la « justification » des pauvres consistait à permettre aux riches de se sauver en aidant, par leur charité, leur prochain malheureux…

Marc Delîle

Publié dans Réflexions en chemin

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