Les différents types de prières
Ce texte reprend, et étoffe pour ce dossier, un article que G&S avait publié le 3 juillet 2015
Prière personnelle, prière communautaire ? si l’«objet» reste le même, il existe bien des différences de formes d’expression, de gestes. La seconde relève plutôt de la liturgie ou de la para-liturgie et ne sera pas abordée.
La prière personnelle se veut un dialogue avec Dieu. On demeure devant lui tel qu’on est, avec nos élans, nos problèmes, une célébration au cœur, une angoisse qui nous saisit, de la reconnaissance, des questions, des doutes… tout offert ou parfois tout «fermé», voire vindicatif…
Cette prière est multiple, diverse, contradictoire, nourrie — parfois encombrée — par nos parcours de vie avec leurs aléas ; elle dépend de notre culture. Rarement, elle s’offre comme un vide que Dieu pourrait alors exploiter et combler.
Un type de prière ne devrait pas susciter de question pour un croyant, du moins faut-il l'espérer, c'est la prière de Louange. « L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu…» (saint Ignace, Exercices spirituels § 23). Elle nous annonce une éternité d’adoration (Ap.19 sv) et nous y prépare. Expression de notre relation personnelle à Dieu, elle peut devenir notre raison d'être, notre souffle vital, comme pour le moine, dont elle est l'occupation principale (Cf. L’article de R. Maisonneuve : «Prière du moine cistercien, prière pour tout chrétien »). C’est aussi, souvent, la forme privilégiée de la prière collective, communautaire.
La prière de remerciement apparaît tout aussi "naturelle". J'ai reçu du Seigneur, vie, intelligence, capacité d’aimer, l’être même : je lui rends grâce, non pas dans un rapport comptable, comme un accusé de réception des dons reçus (hors demande particulière), mais en juste retour : « Que rendrai-je à Yahweh pour tous ses bienfaits à mon égard ! J'élèverai la coupe du salut, et j'invoquerai le nom de Yahweh » (Ps 116,12-13). Cette forme de prière n'est d'ailleurs pas éloignée de la prière de louange, puisque, dans les deux cas, on " célèbre son nom ".
Il peut, en revanche, y avoir une certaine ambiguïté dans les prières dites "de demande". D'abord parce que nous implorons Dieu souvent pour tout autre chose que ce que il veut nous donner, alors qu’on nous répète qu'il sait mieux que nous ce dont nous avons vraiment besoin (Mt 6,8). Il nous propose la sainteté et la paix intérieure, tandis que nous lui réclamons une réussite matérielle, des amours terrestres heureuses (et pourquoi pas multiples), une assurance tous risques contre les travers de la vie, la maladie et la mort… toutes, par ailleurs, causes de soucis. Mais qu'est ce qui est le meilleur pour nous ?.La mort, par exemple, ne devrait-elle pas apparaître au croyant comme l’heureuse "porte" pour un ailleurs, à venir ?
Ensuite, en cas d'échec de notre demande, nous avons tendance à en rendre Dieu responsable, un "Bon Dieu" pressenti comme "tout-puissant" et donc capable, (presqu’obligé ?) d’assouvir nos désirs. Si donc notre requête ne marche pas, on en déduira soit qu'il n'est pas bon, soit qu'il se révèle impuissant. C'est souvent ce que lui reproche le "monde" face au «Mal», aux souffrances générées par les guerres et la misère, ou simplement la mort d’un proche. « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu », déplore le populaire, « où était Dieu pendant la tragédie d’ Auschwitz ? » dénoncent des esprits plus contestataires. Pourtant, dans les camps de concentration, il a dû y avoir bien des prières sincères, profondes, ne serait-ce que pour supplier de survivre. Certes, « les décisions du Seigneur sont insondables », comme dit Paul (Rm 11,33), et ses chemins — qui ne sont pas les nôtres (Mc 6,33) — peuvent sembler occasionnellement obscurs, mais si l’on s’en tient à cette explication nébuleuse, qui ne justifie rien, l’échec de nos prières apparaît à beaucoup scandaleux.
Cette révolte nous permet d'oublier que le mal ne procède pas directement de «décisions» divines. C'est nous qui faisons les guerres, qui créons la misère par une organisation injuste de nos sociétés. L’indifférence apparente de Dieu devient l'alibi de nos défauts, de nos lâchetés, de nos crimes, surtout depuis que la notion de péché est mal vue et rejetée.
La prière n'assure aucune certitude. Elle n'octroie jamais de points-cadeaux. Elle est une voie difficile. On sait par quels doutes crucifiants ont pu passer de grands saints, telles Thérèse d'Avila ou Thérèse de Lisieux. On peut bien avoir de la foi, il n’est jamais inutile d’en demander un peu plus : « Je crois, viens au secours de mon incrédulité » (Mc 9,24). Les apôtres eux-mêmes ont prié Jésus d’augmenter leur foi (Lc 17, 5).
La prière est un dialogue, dans un cœur à cœur qui ne supporte pas le bavardage. Jésus nous en avertit : « En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés./ Ne leur ressemblez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez…» (Mt 6,7-8).
La prière est une (dé)marche de foi, comme une procession par des chemins souvent raides, cahoteux, malaisés. Elle se réduit parfois humblement à un temps dédié à Dieu, temps vide peut-être, mais vide de notre vide. Mais ne faut-il pas être vide du trop plein de nous-mêmes pour que l'Esprit de Dieu puisse «imploser» en nous ? Notre prière ne peut s'animer, se réanimer, que par la venue de l'Esprit (qui est rien moins qu'assurée en temps et lieu), à nous de lui demander de nous inspirer, d’être notre interprète pour appeler le Seigneur « abba » (Gal 4,6) à notre place d'handicapé spirituel.
On doit alors s'abandonner à lui avec confiance : au Père par le Fils dans l'Esprit, non pas dans un stérile quiétisme, mais avec cette confiance totale, qui se nomme "espérance".
Albert Olivier