La prière rituelle en islam
En contexte chrétien, le mot « prière » recouvre un grand nombre de sens. Il y a la prière de louange, celle de demande, etc. L'Eucharistie est aussi une « prière » : bref, le mot est vraiment polysémique disent les spécialistes !
En contexte musulman, le mot doit être bien précisé : si un ami musulman me demande si je « prie », je peux répondre oui, certes ! Mais je m'empresse de préciser que je ne prie pas tout à fait comme lui, même si je suis bien persuadé que sa prière est aussi « valable », comme l'on dit, que la mienne, sous le regard du Seigneur !
Je traite, ici, de la « prière rituelle » musulmane (Salât), en contexte sunnite, et plus particulièrement maghrébin. Cette prière rituelle musulmane est, en quelque sorte, un « service divin », ou encore une « liturgie » : il s'agit de l'accomplissement d'un certain nombre de rites.
Certes, il existe aussi des « prières rituelles » en Christianisme (offices religieux, récitations de psaumes, célébrations eucharistiques avec des « rites ») ; mais l'initiative est laissée au chrétien d'« inventer » aussi son propre dialogue avec Dieu. Saint Ignace ne dit-il pas que je peux parler au Seigneur « comme un ami parle à son ami; (...) tantôt on s'accuse d'une chose mal faite, tantôt on confie ses affaires et on demande là-dessus conseil. » (Exercices spirituels, 54). En Islam, c'est sans doute vrai aussi, mais c'est chez les mystiques que l'on trouve de beaux exemples de ce type de prière, comme la prière du cœur, par exemple...
Comme pour les cinq piliers de l'islam, il faut se reporter au Coran pour connaître ce dont on parle en ce qui concerne la prière. Notons d'abord que l'on y trouve de très belles « prières », dont la célèbre sourate initiale, l'« Ouvrante », la Sourate « Fatiha », prière que tout musulman récite très souvent chaque jour, en langue arabe ; la voici dans la traduction de Denise Masson :
1 « Au nom de Dieu celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux. 2 Louange à Dieu, Seigneur des mondes : 3 celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux, 4 le Roi du Jour du Jugement. 5 C’est toi que nous adorons, c’est toi dont nous implorons le secours. 6 Dirige-nous dans le chemin droit : 7 le chemin de ceux qui tu as comblés de bienfaits ; non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère ni celui des égarés. »
Cependant, que dit le Coran au sujet de la pratique concrète de la prière rituelle ? Il traite de manière assez vague des prières et donne peu de détails sur le déroulement de la prière ; l'essentiel de ces détails en revanche se trouve plutôt dans la Sunna (Tradition)
Disons, en première approche, que l'islam impose cinq prières rituelles par jour (en théorie, dès que l'enfant devient pubère) ; des exceptions sont prévues (pendant les périodes d'impureté légale des femmes, durant les guerres, par exemple).
Dans le cadre général de la « Prière rituelle », tel que je viens de la présenter, on distingue : la prière de l'aurore (fajr), la prière de midi (zhur), la prière de l'après-midi ('asar), la prière du coucher de soleil (maghreb) et la prière de la nuit tombée ('ichâ-)
Précision importante : la prière du vendredi à midi se fait en commun, à la mosquée, derrière un imâm qui préside la prière. Je souligne que, en islam sunnite, l’imam n’est pas une sorte de « prêtre » musulman; il est seulement « devant » (c'est le sens de la racine du mot imâm) l'assemblée des croyants : il préside la prière ; en théorie donc, tout musulman (mâle) peut présider la prière pourvu qu’il connaisse le Coran et le rituel de la prière.
En dehors de ces cinq prières imposées, l'Islam recommande beaucoup la prière libre, par exemple durant le temps privilégié du mois de Ramadhan (https://www.ajib.fr/priere-tarawaih-ramadan/) « prières surérogatoires »).
La prière rituelle habituelle doit se faire en état de pureté légale qu'assurent les ablutions ( https://www.youtube.com/watch?v=udSqWU5cE1A) ; ces dernières sont minutieusement décrites et prescrites ; l’ablution sera ou partielle ou totale, suivant les circonstances ; à défaut d’eau, elle pourra se faire avec du sable. Le lieu de la prière sera « sacralisé » par un tapis de prière. Le visage doit être tourné vers la « qibla » (la direction de la Mekke): il semble bien que, au moment de l’« expatriement » de l’hégire, en 622, les musulmans priaient, comme les juifs, tournés vers Jérusalem. Mais, dès la deuxième année, quand éclata une violente inimitié entre le Prophète et les tribus juives, l’orientation de la Mekke sera adoptée.
La prière rituelle se fait selon des rites (mouvements, gestes, formules) strictement déterminés. Les sites internet pullulent de vidéos qui montrent comment procéder. (https://www.youtube.com/watch?v=6uQPyaOJDP4)
Pour que la prière soit « valide », il faut, outre la pureté légale, le désir d'obéir à Dieu et l'« intention ». Toute prière où l'intention serait absente n'aurait plus aucune valeur ; cette règle de l'intention est aussi requise pour les quatre autre piliers (la profession de foi, le jeûne du mois de Ramadan, l'aumône légale, le pèlerinage à La Mekke)
La prière est annoncée, en Terre d'Islam, par l'appel à la prière (en langue arabe), du haut du minaret, par le muezzin (actuellement remplacé, hélas ! par des hauts parleurs). Voici un exemple : https://www.youtube.com/watch?v=q1kmmttmixE
Avec quelques variantes, suivant l'heure de la journée, le muezzin dit ceci : “Allahu akbar” (« Dieu est plus grand! ») : deux fois; la shahâda (profession de foi) : une fois; “venez à la prière” (ahiyya 'ala salât); “venez au succès” (ahiyya 'ala farâh); “Allahu akbar”: deux fois; la shahâda de nouveau.
À la prière de l'aube, le muezzin ajoute : « la prière est meilleure que le sommeil ».
La prière elle-même, comme acte liturgique se compose (schématiquement) : d’un préliminaire (formulation intérieure de la niyya (intetion), formulation du takbîr (« Dieu est plus grand!) qui établit le croyant en état sacralisé, du corps de « l’office », qui se compose lui-même de rak’a (unité de prosternation), avec la récitation de la sourate Fâtiha, d’inclinations du buste, de prosternation le front à terre, de position mi-assise etc. Le tout est scandé par des oraisons ; enfin, la conclusion : en position assise sont prononcées la chahada, le salut et la bénédiction sur le Prophète, la salutation finale.
Les prières rituelles s'inscrivent dans le cadre d'une « année liturgique ». Je rappelle que l'année musulmane suit un calendrier lunaire (20 ou 30 jours); avec quelques aménagements; cela signifie que les fêtes musulmanes reviennent, chaque année, onze jours plus tôt que l'année précédente. Ainsi le mois de jeûne ou les observances du pèlerinage peuvent coïncider avec les moments les plus chauds de l'année tandis que dix-sept ans plus tard ils tomberont aux plus froids…
Voici les fêtes principales, du moins au Maghreb : le premier de l'an : en souvenir de l'hégire de 622; le 12 du 3e mois : naissance de Mohammed (mouloud an nabî), fête très populaire; le mois de Ramadhan (le dernier jour, c'est à dire, le premier jour du 10e mois: fête de l'Aïd el fitr ou Aïd el seghir (“petit Aïd”): les gâteaux, les enfants habillés de neuf etc...); le 10e jour du 12e mois, Aïd el Kebir, (“grand Aïd) fête du sacrifice, -”fête du mouton”- ; tous s'unissent par la pensée avec les sacrifices de moutons égorgés ce jour-là par les pèlerins de la Mekke, à Mina, en souvenir du sacrifice d'Abraham, dit-on.
Je fais mienne les propos suivants de Henri Sanson, jésuite qui vécut toute vie en Algérie ; on peut appliquer à la prière rituelle ce qu'il écrit des cinq piliers en général : « L'histoire montre que, loin d'innover, nul ne s'est jamais aventuré à les adapter aux lieux et personnes. Au contraire, on s'est toujours astreint à les conserver dans leurs formes originelles, quitte à procéder à quelques accommodements circonstanciels.
C'est que, dans l'Islam, les pratiques cultuelles viennent de Dieu et sont, en tant que telles, intangibles. Dans le Christianisme, les pratiques sacramentelles viennent aussi de Dieu, mais seulement quant à leur matière, la grâce ; car, pour ce qui est de leurs formes, elles viennent de l'Eglise au sein de laquelle, elles sont en adaptation continue : la chose est évidente aujourd'hui en ce qui concerne, par exemple, le jeûne eucharistique...
Pour aller sur le chemin qui conduit à Dieu, les cinq piliers sont ce que Dieu commande de faire, et il n'est pas de magistère pour en gérer le devenir ; les sacrements sont mis à la disposition des hommes, à charge pour eux de les gérer en Eglise. Dans l'Islam, les pratiques cultuelles sont de prescription divine ; dans le Christianisme, la pratique des sacrements est de prescription d'Eglise : comme le sabbat, elle est pour l'homme, et non l'inverse ».
Alain Feuvrier