La prière d’un évêque

Publié le par Garrigues et Sentiers

« Tu étais dedans, et moi j’étais dehors » confessera Saint Augustin après sa conversion. Ces mots de l’un de mes maîtres résument ce qu’est pour moi le mouvement essentiel de la prière : me mettre en présence de la Présence. Ce mouvement me conduit au plus intime de moi-même, dans le silence de mon âme, là où l’Eternel Amour fait sa demeure. « Tu es plus intime à moi-même que moi-même » disait encore saint Augustin en s’adressant à Dieu.

La prière comble le cœur

L’âme humaine est un puits intérieur que Dieu veut combler de son amour. C’est ce que nous enseigne le beau récit de la rencontre de Jésus avec une femme de Samarie, au chapitre 4 de l’évangile de Jean. La rencontre a lieu au bord d’un puits. Il est midi. Jésus a marché toute la matinée, il a chaud, il a soif. « J’ai soif » dira-t-il. Il redira ces paroles sur la Croix, paroles choisies par mère Teresa pour orienter toute son œuvre au service des pauvres, paroles lumineuses inscrites en lettres d’or dans tous les oratoires des Missionnaires de la Charité à travers le monde. Jésus, le Fils de Dieu, l’envoyé du Père, a soif de l’amour des humains, et il a soif dans les pauvres avec lesquels il fait corps. Il dit à la femme au bord du puits : « Celui qui boira l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle ». Quelle est donc cette vie éternelle ? Elle est la vie qui ne meurt pas, la vie qui est amour, éternel Amour. Nous le croyons, Jésus est l’éternel Amour venu en ce monde. Il est à la fois Dieu fait chair qui a soif dans les pauvres et Eternel Amour qui vient combler infiniment la soif de l’âme humaine. « Demeurez en moi comme moi en vous », dit-il encore. Ainsi la finalité de la prière, c’est l’amour. Prier, c’est se laisser remplir de l’amour de Dieu pour apprendre à aimer comme Lui.

La prière est louange et supplication

La prière chrétienne trouve son inspiration première dans la Bible, et particulièrement dans le livre des Psaumes qui est tout entier un livre de prières. On y découvre que la prière est alternance de louange et de supplication. Evêque, je pratique chaque jour cette prière dans ce que l’on appelle la liturgie des heures : office des lectures, prière du matin qu’on appelle « Laudes » (qui signifie « louange »), office du milieu du jour, prière du soir (« vêpres » qui signifie « soir ») et prière des Complies avant le repos de la nuit. C’est la prière de l’Eglise universelle à laquelle s’unissent tous les évêques, les prêtres et les diacres, et tous les consacrés, en particulier les moines et les moniales qui ont sept prières par jour et prient chaque semaine l’ensemble des 150 psaumes de la Bible.

Toute prière devrait commencer par la louange. La louange dilate le cœur. Par la louange, je m’ouvre à la Présence, à un Amour plus grand, immense, sans limite, infini. Un Amour qui se donne, pur don, gratuit, gracieux. Je me rends présent à sa Présence et je chante. Je le loue pour la Création, pour les astres du ciel et les plantes de la terre, pour les animaux petits et grands, pour l’harmonie de l’Univers  et la beauté de tout visage humain. « Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! » (Psaume 145).

La prière se fait supplication. Je me sens pauvre, démuni, faible et fragile. Que puis-je faire devant la maladie incurable d’un proche ? Que puis-je faire devant les actes terroristes, la guerre en Syrie et à Mossoul ? Que puis-je faire devant la haine et l’injustice ? Je m’efforce d’aimer, de pardonner, de m’offrir à Dieu avec le Christ en croix, pour que le monde soit sauvé, réconcilié. Mais parviendrai-je moi-même à mettre fin à mon propre égoïsme, à mon manque de courage, à mon péché dans lequel je ne cesse de tomber ? Alors je supplie Dieu de venir à mon aide, à notre secours. Je ne demande pas le miracle, encore que… je le voudrais bien !!! Je demande la force pour celui qui subit l’épreuve, le courage dans les combats, la compassion qui ouvre les cœurs, la réconciliation entre les personnes et entre les peuples, l’inspiration pour les décideurs, la douceur pour ne pas rajouter du mal au mal, l’audace du petit geste qui peut tout faire basculer, l’espérance du colibri… « Je m’épuise à crier, ma gorge brûle, mes yeux se sont usés d’attendre mon Dieu » (Psaume 68).

La prière introduit dans une communion d’amour

Ma prière est chrétienne, c’est-à-dire trinitaire. J’oserais dire comme le père François Varillon : « Si Dieu n’était pas Trinité, je pense bien que je serais athée ! » Si Dieu est Dieu, il est UN, il est le Dieu Unique. Avec tous mes frères monothéistes, je mets toute ma foi en ce Dieu UN. Mais si de toute éternité Dieu est Amour, Dieu ne peut pas être solitaire. Dieu est communion d’amour, et nous le savons par le Christ. Je ne ferai pas ici un cours de théologie sur la Trinité. Je redirai seulement que ma prière est tout entière imprégnée de ce mystère d’amour que je contemple en Dieu Père, Fils et Esprit Saint. La contemplation de cette communion d’amour me comble d’une joie profonde ; elle édifie en moi la paix et la sérénité, la confiance comme un roc. Je sais, je vois dans la foi, que tout le désir de Dieu est d’introduire en cette divine communion d’amour tout être humain et toute la communauté humaine, pour que nous soyons UN en Lui. Nous sommes aimantés par la Trinité. Et je redis très souvent cette prière : « Père, au nom de Jésus, donne-nous ton Esprit ». Esprit d’amour et de lumière.

Ma prière quotidienne

Lors de mes visites pastorales dans le diocèse, les enfants et les jeunes me demandent souvent comment se passe la journée d’un évêque. Je leur réponds qu’elle commence et s’achève toujours de la même manière, et qu’entre le matin et le soir, il n’y a pas deux journées semblables. Le matin, je pense aux mères et aux pères de famille qui ont beaucoup à faire à la maison et auprès de leurs enfants avant de partir au travail. Ils peuvent bien sûr prier dans ces tâches du matin et du soir, et je sais que beaucoup le font. Mais cette pensée pour eux m’encourage dans ma propre fidélité à la prière quotidienne.

Le réveil sonne à 6 heures et mon premier geste est de tracer sur moi le signe de croix, le signe de l’amour que Dieu a pour moi et pour tous ceux qui habiteront mes pensées et mes rencontres du jour. Assis sur mon lit, par la prière d’abandon du père Charles de Foucauld, je m’offre et confie ma journée au Seigneur. Jusqu’à 8 heures, mon temps est consacré à la prière : Laudes, lectio divina (lecture priée de la Bible), et oraison silencieuse d’une demi-heure dans mon petit oratoire à l’archevêché. Je goûte particulièrement la lectio divina ; j’aime la commencer la veille au soir, et je la prolonge le plus longtemps possible les jours où je dois prêcher. Cette lecture priée de l’Ecriture est traditionnelle dans l’Eglise et beaucoup de catholiques la découvrent avec bonheur. Elle se pratique en quatre temps : lire, méditer, prier, contempler. Pour ma part, je la prolonge dans l’oraison silencieuse.

L’eucharistie quotidienne est vitale pour moi, comme pour tout prêtre. Elle est ce moment où je prie aux nombreuses intentions qui me sont confiées, aux intentions de l’Eglise et du monde, ce moment aussi où je m’offre tout entier dans le Christ, avec lui et en lui. Il m’est donné de célébrer souvent l’eucharistie avec les communautés chrétiennes, c’est toujours un grand bonheur.

Je vous avoue que l’humble prière du chapelet est aussi très importante pour moi. Je me confie chaque jour, et en particulier le soir, à la prière de Marie, mère de l’Eglise, mère de tous ceux qui habitent mes pensées et mes rencontres. Cette prière me met en communion avec l’immense multitude des priants de la terre. Elle m’apporte une grande paix et sérénité. Elle me branche sur le Christ aimant et vivant, elle fortifie en moi la foi, l’espérance et la charité.

Dans mon expérience personnelle de la prière, j’ajouterai les oraisons que l’on appelle « jaculatoires » selon le terme de la physique qui désigne le mouvement du bas vers le haut. Ce sont des prières courtes qui jaillissent du cœur à tout instant de la journée. Prières à l’Esprit Saint avant une rencontre ou un travail. Prières inspirées par une pensée ou un regard. Elles peuvent être un chant de joie ou un cri de douleur vers le Seigneur. Elles apaisent le fond de l’âme, consolent le cœur, apportent l’inspiration et fortifient le courage. Je les recommande vivement.

La finalité de la prière, c’est l’amour

Je le redis en conclusion : la finalité ultime de la prière, c’est l’amour. Je prie pour que l’Esprit Saint m’apprenne à aimer davantage, à aimer comme le Christ. Je prie pour qu’il m’établisse dans une intense communion d’amour avec mes frères et sœurs en humanité. L’Esprit Saint met sur mes lèvres la prière que le Christ a enseignée à ses disciples, dans un cœur-à-cœur avec Dieu que nous osons appeler « Notre Père ». Je le supplie à toute heure d’habiter mon esprit, mon cœur et mon corps et de me rendre présent à la Présence. Voici en point d’orgue ma prière préférée, tirée du Veni Creator (« Viens Esprit Créateur »), prière attribuée à Raban Maur, moine autour de l’an 800 :

« Mets ta lumière en nos esprits, 

Répands ton amour en nos cœurs,

Et que ta force sans déclin tire nos corps dans leur faiblesse ».

 

+ Christophe DUFOUR,

archevêque d’Aix-en-Provence et Arles

Publié dans DOSSIER PRIERE

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