Soyez astucieux avec l’argent (Luc 16, 1-13)

Publié le par Garrigues et Sentiers

Luc, parmi les évangélistes, est celui qui dénonce le plus durement les dangers de l’argent. Ses béatitudes sont radicales : « heureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous, mais malheur à vous les riches car vous avez votre consolation » (Luc, 6, 20 et 24) alors que Mathieu parle de « pauvreté en esprit » (Mt 5, 3).

Luc, au chapitre 16, est le seul à relater deux paraboles concernant l’argent : l’intendant astucieux et le riche et le pauvre Lazare (16, 19-31). Cette deuxième parabole est souvent appelée, à tort, celle du « mauvais riche », car rien ne dit dans le texte qu’il est mauvais, sinon que vivant lui dans le superflu, il ne voit pas à sa porte son frère dans la pauvreté. La rupture est totale entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas le minimum.

Dans celle de « l’intendant astucieux », dite aussi celle de « l’intendant habile », ou « malhonnête », le « riche », même « malhonnête », est beaucoup plus intelligent. Son histoire est connue : un propriétaire renvoie son intendant pour cause de malhonnêteté. Celui-ci, pensant à son avenir, trouve comme solution de diminuer les dettes des débiteurs de son maître ; ainsi, pense-t-il, ils le recevront quand il sera « au chômage ». Son ancien le maître fit son éloge car il avait agi de manière intelligente. Cette réflexion a gêné les commentateurs : en quoi la malhonnêteté peut-elle être citée en modèle?

Pour comprendre ce texte, humoristique à sa façon, il est utile de se rappeler les lois et coutumes palestiniennes au temps de Jésus. « L’intendant d’un domaine agissait au nom et place de son maître ; comme il n’était pas rémunéré, il pouvait se dédommager de ses frais aux dépens des débiteurs auxquels il confiait en « prêt » les biens de son maître »1. Très souvent pour augmenter ses revenus, il majorait ses frais. Certes, le prêt à intérêt était interdit par la loi juive, mais il y avait une façon élégante de contourner la loi : si le billet portait simplement « je dois à un tel dix kors de blé », même si le porteur du billet n’avait effectivement touché que sept ou huit kors, la différence constituait « le bénéfice » du prêteur. Ce n’était pas considéré comme prêt à intérêt, interdit par la loi juive sous le terme d’usure. C’était, dirait-on aujourd’hui, « des dédommagements de frais ». Les finasseries financières ne datent pas d’aujourd’hui !

Dans ce contexte, on comprend mieux la situation : sur les 100 baths (environ 3700 litres), 50 seulement avaient été effectivement prêtés par l’intendant sur le bien de son maître et 50 constituaient à la fois le remboursement des frais de l’intendant et la « commission » exorbitante qu’il avait prise sur l’opération. Ainsi lorsque l’intendant fait changer le montant de la dette, il ne lèse pas son maître, mais renonce à ses propres bénéfices, espérant qu’en remerciement, ses débiteurs l’accueilleront. L’intelligence de l’intendant consiste à se tirer, à son profit, d’une situation difficile, en utilisant les non-dits de la loi : sa malhonnêteté consistait à majorer ses frais, non pas sur le dos de son propriétaire, mais sur ses débiteurs.

Trois leçons peuvent se dégager de cette situation vécue.

La première reste radicale : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent ». « Là où est ton trésor, là est ton cœur ». C’est abrupt, à la mode de Luc, sans possibilité d’édulcoration.

La deuxième : dans un monde où Mammon est Dieu, où l’ivraie et le bon grain sont intrinsèquement liés sans qu’il soit possible de les séparer dès maintenant, il n’est pas interdit d’être intelligent et d’utiliser les possibilités légales d’un système souvent pervers pour assurer une meilleure répartition des richesses et subvenir aux plus pauvres. L’abbé Pierre en créant les Compagnons d’Emmaüs et Coluche avec les Restaurants du Cœur ont fait preuve de cette intelligence là en utilisant les possibilités d’un système marchand pour venir en aide aux exclus. Dans ce sens me revient en mémoire le conseil du Père Lebret, créateur d’Economie et Humanisme : « soyez intelligents ». À chacun donc, individuellement ou collectivement, de l’être.

Troisième conclusion : privilégier les relations avec les personnes plutôt que l’augmentation de son compte en banque. Or la « malhonnêteté » du système actuel est de privilégier, souvent exclusivement, le fait d’amasser de l’argent au détriment des humains. Si une telle tendance se confirmait, ce pourrait être la ruine de notre société.

Antoine Duprez

1. – Benoît Boismard, Synopse des quatre évangiles en français, t. 2, p. 296.

Publié dans DOSSIER ARGENT

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article