Propos badins sur le juste prix et la valeur de l’argent
A côté d’articles sérieux sur l’argent, dont les effets sont majeurs sur l’économie ou la vie sociale, on peut badiner autour de cette question, qui reste un peu obscène en France. Par exemple, on ne dit jamais, ou seulement contraint, ce que l’on gagne réellement. Et pourtant on est quotidiennement affronté à cet instrument, « bon serviteur et mauvais maître », ne serait-ce qu’en faisant son marché (tiens, les prix ont augmenté !) ou en payant ses impôts : « plus qu’hier et bien moins que demain ».
Quand j'étais à l’école primaire dans les années 40, on apprenait en arithmétique le calcul des prix de revient et de prix de vente. Le prix de revient incluait le coût de la matière première, de la façon (main d’œuvre et frais généraux), du transport, de la marge de la distribution, des investissements indispensables pour continuer (on y inclurait aujourd’hui la recherche nécessaire pour avancer)… Tout cela pouvait avoir une valeur estimable, donc relativement objective. Venait s'ajouter, pour constituer le prix de vente, le bénéfice qui, en l'absence de règles fixes, est éminemment subjectif. Se limitera-t-il pour le producteur à ce qui lui sera nécessaire pour (bien) vivre — il a déjà prévu de rétribuer son personnel, renouveler son matériel…— ou se projette-t-il dans une accumulation du capital, voire en faire un moyen de spéculer ou d’établir un monopole ?
Que pourrait être un «juste prix» ? Dans notre système actuel, il y a certes, quelques contrôles, mais y a-t-il une règle, un pourcentage reconnu décent (pourquoi pas fixe ?) des bénéfices ? On sait que, pour les actionnaires de certains fonds de pension, des dividendes rapportant un pourcentage inférieur à 2 chiffres sont inacceptables.
Sans parler de dumping provisoire possible de la part de producteurs de biens, il y a plusieurs manières de jouer sur les prix pour motiver le client : remises, promotions, soldes, cadeaux (souvent de bien médiocre qualité)… Ces pratiques, de toutes manières, ont un coût. Les consommateurs avertis ne préféreraient-ils pas payer un prix « juste » plutôt que d'être soumis à cette espèce de chantage au plus offrant ? Cette pratique a l’inconvénient supplémentaire d’habituer lesdits clients au prix le plus bas, sans qu’ils prennent en compte la qualité du produit ou sa provenance. Parfois même, il est affronté à des services « gratuits », c’est tentant, mais que cachent ces offres ?
On vit dans une économie monétaire. Pendant longtemps, le troc a été abandonné au profit de la monnaie plus facile à manier et de valeur arrêtée. Les relations humaines y ont perdu, au point qu’on assiste à une prise de conscience qui favoriserait un nouveau système d’échanges, vente de consommateur à consommateur par internet, services réciproques, achats de proximité etc.
Vous assistez aussi à l’amusant jeu de rôle de l’être « désintéressé », principalement chez quelques nantis : artistes de cinéma, vedettes de variétés, sportifs dits « de haut niveau ». Il est de bon ton, lorsqu’ils sont interviewés, de prétendre que ce qui les anime ce n’est certes pas l’argent qu’ils gagnent largement (fi ! quelle perspective vulgaire !), mais le seul « plaisir de jouer » (tiens, le mot peut servir aussi bien pour un acteur de cinéma, un footballeur … ou un joueur de poker !). À leurs affirmations indignées, il serait (presque) sûr que, si ce plaisir n’existait pas, ils aimeraient mieux être plombier-zingueur (encore qu’un bon plombier, comme un sujet rare, gagne bien sa vie).
Si les élections diverses (en particulier les mieux rémunérées : sénat et assemblée nationale) ne manquent pas de candidats, l’argent attendu en retour n’y est, bien sûr, là encore pour rien. Voilà des hommes et des femmes attachés au seul bien public qui leur coûte tant de sacrifices. Ils poussent l’abnégation jusqu’à défendre, avec des arguments qui ne sont pas nuls, le pesant cumul des dits mandats. Ici, on disposerait d’un critère immédiat de distinction entre des gens réellement désintéressés et… les autres. Vous voulez être conjointement député ou sénateur et maire d’une grande ville pour, à la fois, être sur le terrain des réalités et avoir un moyen d’action nationale ? D’accord, vous remplirez les deux mandats (pas plus et pas trop longtemps : il ne faut pas exagérer !) ; mais on ne vous payerait que pour un seul. Soyons généreux au tarif le plus « payant ». Y aurait-il autant de candidats ?
Marc Delîle