Les « Panama papers » ou le scandale de l’évasion fiscale

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le scandale de l’évasion fiscale par les paradis fiscaux, connu depuis longtemps, a été mis récemment en pleine lumière par la publication d’un livre1, Le secret le mieux gardé du monde, Le roman vrai des Panama Papers. Cette publication fut un véritable tsunami dans le monde clos de la finance, tant par son origine, l’importance de son contenu, que ses conséquences.

 

Son origine

En 2015, deux journalistes allemands du Süddeutsche Zeitung2 furent contactés par une « taupe » sous le nom de John Doé, ce pseudonyme lui permettant de rester anonyme, pour des raisons évidentes de sécurité. Par ces révélations, il voulait, disait-il, «rendre ces crimes publics » : il leur proposa de livrer des dossiers secrets sur des sociétés offshore3 panaméennes et de révéler ainsi les mécanismes par lesquels, à Panama, paradis fiscal depuis 1927, tout un système permettait à de nombreux hommes politiques ou sociétés de faire échapper à l'impôt des sommes considérables.

 

L’importance de son contenu.

« L’évasion fiscale consiste, en effet, à éviter un impôt dans un pays en transférant tout ou partie d’un patrimoine ou d’une activité dans une société écran basée la plupart du temps dans un paradis fiscal. La difficulté d’une telle investigation vient de ce que, outre le caractère secret, suivant les pays, et la méthode utilisée, cette pratique peut être légale ou illégale ; dans ce dernier cas, on parlera de« fraude fiscale ». Si dans la plupart des pays, une société offshore n’est pas illégale en elle-même, c’est son usage comme société écran pour faciliter l’évasion fiscale ou le blanchiment d’argent qui l’est. Dans la plupart des cas, on utilise une société offshore anonyme pour dissimuler quelque chose. L'expérience montre que l'anonymat des sociétés-écrans est souvent utilisé par ceux dont l'activité est fondée sur l'anonymat. Les trafiquants d’armes, de drogue et autres criminels, des investisseurs qui ne veulent pas révéler leur identité ni leur intention, des responsables politiques qui veulent placer leur bien à l'étranger, parce qu’il n'a pas été acquis de façon bien nette dans leur pays, d'entreprises qui souhaitent transmettre des pots-de-vin par ce biais. Cette liste est quasi sans fin4 »

Grâce à un montage savant et des combines politico juridiques, il était très difficile, voire impossible, de savoir qui se cachait derrière ces sociétés écrans, ce secret étant un garant de leur impunité.

Ces procédés très pointus permettaient de protéger à la fois les fraudeurs du fisc et le blanchiment du crime organisé, en ne dévoilant pas le nom du propriétaire réel de ces sociétés. La pratique était connue : il s’agit d’une institutionnalisation au niveau des plus puissants de l’utilisation de sociétés opaques, à des fins de fraude fiscale ou de blanchiment d’argent car tout cela n’est permis que par l’opacité et le secret qui entoure ces sociétés offshore.

Depuis 1927, Panama assure la confidentialité sur les actifs, les transferts et les propriétaires d'entreprises et accorde l'exemption d'impôts aux sociétés anonymes.

Or la « fuite » des Panama Papers contient plus de 11,5 millions de documents confidentiels, issus d'un cabinet d'avocats panaméens, Mossack Fonseca, qui donnent des informations sur plus de 214.000 sociétés offshore, ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés1. Elle est sans commune mesure avec les fuites précédentes et révèle les mécanismes de ces évasions fiscales : les sociétés-écrans, au cœur de ce scandale, sont créés par des montages juridiques sophistiqués de Mossack Fonseca. Ce cabinet possède des bureaux dans le monde entier et a pour clients des grandes institutions bancaires et plus de 300.000 entreprises.

L’importance de ces révélations vient aussi des personnalités ou sociétés impliqués : entourage de dirigeants politiques (Vladimir Poutine, l'ancienne présidente Kitchener en Argentine, Bechar el Assad, Kadhafi, un ex premier ministre anglais), des grandes sociétés américaines, des grandes banques (Deutsche Bank, HSBC, La Société Générale, Crédit Suisse, UBS), des sportifs de haut niveau, des trafiquants de drogue…

Elle l’est aussi pour les sommes en jeu : l’évaluation des sommes est délicate car le principe même de l’évaluation fiscale est d’être secrète ; c’est par un travail énorme de recoupement des réseaux que des chiffres ont été avancés : l’évasion fiscale dans le monde est évaluée par l’économiste Richard Murphy à 5 % de l’économie mondiale. Elle se fait évidemment au détriment des services publics et des budgets nationaux. Selon les données de la Commission européenne, l’évasion et la fraude fiscale, notamment la fraude à la TVA, feraient perdre environ 1000 milliards d’euros par an aux pays de la Commission Européenne. Les pays européens les plus touchés seraient l’Italie, le Portugal et l’Espagne ; en France les évaluations de perte sont estimées de 50 à 80 milliards par an, i.e. environ 3% du PIB (Cette somme est à comparer à celle de 13,3 milliards €, somme du déficit de la sécurité sociale). Y seraient inclues les sommes des multinationales qui effectuent volontairement la moitié de leurs transactions internationales de manière intra groupe et hébergent une partie importante de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux ; ce qui se traduirait en France par des taux d’imposition bien moindres pour elles que pour les grandes et petites entreprises françaises. C’est un des arguments avancés par de nombreux économistes opposés à toute augmentation d’impôts tant pour les particuliers que pour les PME ; ils argumentent qu’une des causes importantes des déficits des états vient de cette fraude fiscale. Ce serait aussi une des raisons des grandes inégalités par lesquels les plus riches ne cessent de s’enrichir et les plus pauvres de s’appauvrir5.

 

Ses conséquences

Ces révélations ont eu des conséquences bénéfiques à la fois dans la prise de conscience des mécanismes de cette évasion fiscale, de l’importance des gens concernés et des sommes en jeu.

Les données ont été rapidement partagées avec 400 journalistes dans plus de 80 pays, par l’intermédiaire de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ). Un réseau de la transparence s’est créé face au réseau du secret. Des experts de renommée mondiale, Joseph Stiglitz et Mark Pieth, ont saisi cette occasion pour réinsister sur l’urgence de mettre fin au secret des paradis fiscaux et de cesser la course au dumping fiscal envers les multinationales. Selon eux, « les moyens employés dans la lutte contre le terrorisme » devraient être utilisés « dans la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale ». L’OCDE soutient depuis la crise financière de 2008 deux grandes mesures : « l’échange d’informations entre pays sur les contribuables (comptes bancaires, parts de sociétés) et l’obligation de révéler l’identité des bénéficiaires effectifs des sociétés-écrans et les comptes bancaires ouverts par des prête-noms ». Sur le premier point, repris par le G20, des avancées très sensibles ont été réalisées : l’OCDE, par l’accord du 15 juillet 2014, a obtenu de haute lutte l’accord de plus de 100 pays pour la mise en place d’un système d’échange automatique de données6 à l’horizon 2017-2018. « À nos yeux, l’étape la plus efficace dans la lutte contre les paradis fiscaux serait un registre mondial dévoilant les vrais propriétaires des sociétés-écrans. Ce serait, comme le dit le chancelier de l’échiquier britannique George Osborne, « un coup de marteau sur la tête de tous ceux qui cachent leurs impôts dans des coins sombres ». Jusqu’à présent en matière de lutte contre les paradis fiscaux, on a plutôt pris des gants, à la place du marteau. Le débat déclenché par les Panama Papers – et qui est loin d’être terminé –montre qu’un autre monde est possible. Il faut juste le vouloir »7. Ce deuxième point est malheureusement loin de faire consensus.

L’actualité fait planer de sérieuses menaces sur ces avancées : le Royaume-Uni après le Brexit menace de faire jouer l’arme fiscale contre l’Union Européenne, avec un taux d’impôts sur les sociétés réduit de 20 à 10 %. L’élection de Donald Trump renforce cette crainte avec la promesse d’une taxation réduite à 15 % contre 35 % actuellement avec des pénalités limitées pour les majors américaines (Google Apple Facebook etc.) qui rapatrieraient les profits stockés offshore.

Quelle sera la politique du prochain élu à l’Elysée ? Affaire à suivre…

Antoine Duprez

Notes

1.- Le secret le mieux gardé du monde. Le roman vrai des Panaméens Papers, par B. Obermayer et F. Obermaier, paru au Seuil 2016

2.- Le Süddeutsche Zeitung, spécialisé dans les bases de données ayant « fuité » (leaked) des paradis fiscaux dans les Caraïbes, les comptes secrets en Suisse, les combines avec le fisc luxembourgeois.

3.- « Une société écran est une société qui n'a pas d'employés à son siège officiel mais seulement une boîte aux lettres. La société offshore vintage est une société écran d'occasion. Les entreprises comme Mossak Fonseca ont des stocks de sociétés pour pouvoir les vendre à des clients qui ont besoin de société écran » op. cité, p.417.

4.- D'après « Panama Papers », Wikipédia.

5.- En trente ans, l’accroissement de richesse aurait profité à 50 % des plus riches aux États-Unis, 40 % en Angleterre, 10 % en France. Huit personnes détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population (cf. le rapport tout récent de l’O.N.G. Oxfam (https://www.oxfamfrance.org/). Cf aussi Wikipédia, « évasion fiscale », et sur la croissance des inégalités, Thomas Piketty, Le capital au XXe siècle, Seuil 2013.

6.- Dossier Le Monde, « Panaméens Papers ».

7.- Op. cit., pp. 405-411.

 

Publié dans DOSSIER ARGENT

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