Noël, fête des oubliés de nos « hôtelleries »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Comment célébrer Noël alors que se profile, dans l’année qui vient, une trumpoutinisation du monde. Les leaders des deux puissances militaires dominantes, le nouveau président américain Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine entendent bien utiliser sans état d’âme le rapport de force dans les relations internationales. On ne peut que déplorer que deux courants issus du christianisme, un certain évangélisme américain et la hiérarchie orthodoxe russe se rangent derrière ces nationalismes.Noël célèbre la venue de celui pour qui il n’y avait pas de place dans les ordres établis. Sa naissance a dérangé les compromis politico-religieux de l'époque et conduit le roi Hérode à massacrer l’enfance pour conjurer ce surgissement du nouveau qui risquait, à ses yeux, de mettre en cause son pouvoir. Quant à l’économie marchande, son verdict est clair : pour les gens insolvables, « il n’y a pas de place pour eux à l’hôtellerie »1. Que reste-t-il lorsque les ordres politique, religieux et marchand vous rejettent, sinon l’hospitalité des humbles et la fuite lorsque les États deviennent meurtriers ?

Noël annonce que le goût de naître est plus radical que la bêtise meurtrière à front de taureau des obsédés de la puissance. C'est une invitation à inverser notre jugement. Ce n’est plus la violence du pouvoir économique et politique qui juge l’exclu.

C’est le pauvre qui interroge le monde, c’est l’étranger qui réveille le sédentaire.

Non pour les condamner, mais pour leur révéler que le monde et l’histoire sont plus vastes que le périmètre de leur peur ou de leur confort. Au-delà des théorèmes des experts et du cynisme des riches et des puissants subsiste ce que Péguy appelait « la petite fille espérance ». Cette résistance à l’entropie des mondes clos et des idéologies est tellement subversive que l’économie marchande tente d’ensevelir Noël sous des montagnes de victuailles, de guimauves et bons sentiments.

Depuis Noël, ce sont les plus faibles, les plus exclus, qui ouvrent la voie vers l’avenir parce que ceux qui sont le plus vulnérable obligent à nous tenir dans les commencements de l’humain. Le malaise de la civilisation, le désenchantement du monde, la crise du politique, la fracture sociale, les vagues d’immigrés : autant de drames vécus comme la fin d’un monde. Cette crise majeure peut conduire à se crisper, à mort, sur des identités d’origine tribale, nationale, religieuse. À tous ceux qui vivent ces effondrements et ces dépressions, Noël rappelle que chaque perte d’une sécurité, d’une protection, d’une façon de penser, peut être la chance d’une nouvelle naissance.

Un jeune couple modeste, dont la femme est enceinte, cheminait sur les routes de Palestine pour obéir à l’ordre de se faire recenser. Au moment où César veut compter les sujets de son Empire, ils mettent au monde un enfant dans des conditions très précaires. Ils témoignent qu’au lieu de végéter dans les nostalgies, les déceptions, les rancœurs ou les fantasmes de toute-puissance, il vaut la peine de naître.

Hodie Christus natus est chante la liturgie de Noël : aujourd’hui le Christ naît parmi les exclus, les expulsés, les sans papiers, les réfugiés, tous ceux pour qui il n’y a pas de place dans l’hôtellerie de nos conforts nationalistes, économiques, intellectuels ou religieux.

Bernard Ginisty

1 – Évangile de Luc 2,7

 

Publié dans Réflexions en chemin

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