Le Dieu de la Bible est-il violent ?
Pourquoi tant de violence dans la Bible ? Lisez la réponse de la bibliste Anne Soupa, bibliste, interviewée par Sophie de Villeneuve, dans le cadre de l'émission "Mille questions à la foi" sur Radio Notre-Dame.
Sophie de Villeneuve : Certains passages de la Bible donnent l'image d'un Dieu terrible, qui n'hésite pas à ordonner lui-même la violence. On se souvient du prophète Élie égorgeant les quatre cents prophètes de Baal, ou encore la destruction de Jérusalem et l'exil à Babylone. Sans compter les massacres du livre d'Esther et autres récits tout aussi terrifiants. Quant au Nouveau Testament, il comporte lui aussi des scènes violentes et Jésus lui-même se montre parfois violent. Alors, pourquoi la Bible est-elle si violente ? Et d'abord, cette violence est-elle réelle ?
Anne Soupa : J'aimerais distinguer, dans ce que vous avez présenté, la violence exercée par les hommes et la violence attribuée à Dieu. Effectivement, la Bible parle de temps anciens qui sont très violents. Il y a de la violence dans la Bible parce que les hommes sont violents. Ils le sont de toute éternité, et nous naissons encore avec de la violence en nous. Mais je pense que les temps anciens favorisaient la violence, parce que vivre était difficile. C'étaient des périodes où il n'y avait pas de droits, pas de secours, il fallait se défendre par soi-même et parfois au prix de la violence.
SDV : Alors c'est normal que ces récits bibliques soient violents ?
A. S. : C'est normal, et je crois que c'est un signe de vitalité ! La survie était à ce prix : pour survivre, il fallait de la violence.
SDV : Que la Bible soit violente n'est donc forcément un mal, mais le signe que les hommes avancent ?
A. S. : Cela montre que les hommes avancent, qu'ils protègent leur vie, peut-être de manière un peu aveugle et brutale, cela montre leur désir de vivre.
SDV : Mais Dieu, lui, accepte cette violence ?
A. S. : Je pense qu'il faut là aussi distinguer les invocations du peuple envers un Dieu vengeur, et la violence qui est vraiment attribuée à Dieu. Dans un psaume terrible, le psalmiste demande à Dieu de fracasser les bébés des ennemis contre les murailles de la ville, tellement leur malheur et leur souffrance sont grands, tellement ils ont besoin d'être débarrassés de ces ennemis. C'est une manière de gérer sa propre violence : demander à Dieu d'être violent signifie que l'on y renonce soi-même. On ne lèvera pas les armes, on demande à Dieu de le faire. Dieu le fera ou non, cette violence peut se perdre sans être exercée réellement. C'est une manière assez fine de se sortir d'une situation violente que d'invoquer Dieu pour qu'il nous en débarrasse.
SDV : Cela signifie-t-il que les hommes de la Bible voyaient en Dieu quelqu'un de violent ?
A. S. : Ils pensent très certainement que Dieu est capable de violence. Il y a tant de violence autour d'eux qu'ils ne peuvent pas imaginer que Dieu ne soit pas aussi violent.
SDV : Est-ce que Dieu leur faisait peur ?
A. S. : Bien sûr ! La crainte de Dieu est une notion biblique importante. Cela ne veut pas dire que Dieu terrorise, mais qu'il inspire le respect, une sorte de crainte religieuse et aussi, je crois, une certaine peur. Les hommes de la Bible avaient peur de sa vengeance, de son courroux. Aujourd'hui, nous savons mieux que la liberté humaine est à l'œuvre. Les massacres du livre d'Esther sont imputables aux hommes. Nous savons aujourd'hui que les hommes sont libres, et que cette liberté peut conduire à la mort. Mais les hommes de la Bible imputaient tout aussi bien le mal que le bien à Dieu.
SDV : Tout de même, dans la Bible, Dieu est violent. Un exemple que tout le monde connaît : le déluge. C'est bien une violence exercée par Dieu ?
A. S. : Effectivement, le déluge est un des cas de violence directe de Dieu. Dieu est accablé par sa création, et, de fait, les premiers chapitres de la Genèse ne sont guère engageants ! Les premiers hommes ne se sont pas comportés comme des modèles irréprochables, et le récit biblique dit bien que la méchanceté humaine n'a pas de limites. Dieu se repent d'avoir créé l'espèce humaine et veut effacer sa création. Il y a donc de la violence chez Dieu. Mais si on lit le récit jusqu'au bout, Dieu voit tout de même qu'il y a des justes sur terre, et il choisit de préserver l'humanité, même pour un seul juste. Il dit à la fin : "Jamais je ne maudirai ma création".
SDV : Donc Dieu se repent de sa propre violence ?
A. S. : Bien sûr. Il est fermement dit à la fin de cette histoire que Dieu ne sera plus jamais violent.
SDV : Dans l'Ancien Testament, Dieu évolue ?
A. S. : Je dirais plutôt que la familiarité avec Dieu que les hommes acquièrent au long de l'histoire leur permet de se rendre compte que Dieu est lent à la colère et riche en miséricorde, comme le dit Moïse dans l'Exode, et que Dieu a créé non par la violence, mais par la douceur de sa parole. Et qu'il nous donne pour modèle un règlement des conflits par la parole.
SDV : Mais Dieu se montre encore violent au moment de la destruction de Sodome…
A. S. : Dans cette histoire, ce n'est pas l'orientation sexuelle des Sodomites qui est en cause, mais leur défaut d'hospitalité. L'accueil de l'autre, l'ouverture à l'autre est une qualité que Dieu apprécie. Dieu détruit Sodome parce que la ville n'a plus aucune ouverture vers autrui.
SDV : Dieu se met en colère quand il est déçu par les hommes, quand ils ne lui ressemblent pas ?
A. S. : En réalité, les hommes se mettent dans des situations telles qu'ils pensent que Dieu les condamne à mort. C'est notre manière de nous représenter Dieu qui nous efface de la carte, parce que nous nous sommes rendus si haïssables, nous avons tellement contrevenu à notre aspiration d'êtres humains que nous n'arrivons plus à vivre.
SDV : Dans le Nouveau Testament, Jésus lui aussi peut avoir des paroles violentes.
A. S. : La violence de Jésus est réelle, mais c'est une violence qui construit et non qui détruit. C'est une violence qui vise à nous remettre sur le droit chemin du bon rapport à Dieu. On pense bien sûr à l'épisode où il chasse les marchands du Temple. Là, il est pris, comme dit Élie, d'un "zèle jaloux" pour Dieu, son Père, il veut honorer la véritable image de Dieu. C'est le souci de Dieu, l'honneur de Dieu qui le rend violent. Ce n'est pas une violence qui détruit des gens, elle remet les choses à leur place.
SDV : Finalement, la violence de Jésus est la même que celle de Dieu, elle surgit quand ne le reconnaît pas comme celui qui est tendresse ?
A. S. : Dans de nombreux passages, Jésus se montre particulièrement tendre, guérissant, et c'est cette figure de Jésus qui domine dans le Nouveau Testament. Mais elle intègre parfois une certaine violence verbale qui traduit, je crois, une certaine rectitude.
SDV : Est-ce que cette violence biblique nous dit quelque chose de notre vie d'aujourd'hui ?
A. S : Elle nous dit de ne pas occulter la dimension violente de notre bagage génétique. Nous avons à reconnaître que nous sommes violents. Quand on y réfléchit, notre éducation d'enfants vise à nous faire reconnaître et domestiquer notre violence. Sans doute aujourd'hui manquons-nous de repères pour gérer notre violence, et il me semble que dans l'Église, nous pourrions davantage honorer le conflit, la joute, le débat, la discussion vive. Il faut se garder d'un unanimisme qui n'est que de façade et méconnaît la divergence d'opinion, la différence et une certaine agressivité qui est normale.
SDV : Lire la Bible sous cet angle-là peut-il nous aider à surmonter notre propre violence, à la reconnaître ?
A. S. : Cela peut nous aider à lui faire une place. Donner sa place à la violence en nous, c'est la localiser, et éviter ainsi qu'elle ne déborde. Oui, relisons la Bible, car la gestion de la violence y est très saine. Il serait dommage de l'en évacuer.
Revue Croire