Joyeux Noël !

Publié le par Garrigues et Sentiers

C’est au milieu du 4ème siècle, sous l’empereur Constance II, fils de Constantin, que le pape Libère a décidé de la date de Noël : ce serait au moment de la fête païenne du solstice d’hiver et cela marquerait le vrai commencement de l’année liturgique. Ainsi l’Église étouffait une grande fête païenne en la « baptisant », elle montrait sa force naissante. Le christianisme n’était autorisé que depuis peu, il était encore minoritaire et déchiré (déjà !) par les luttes entre ariens et orthodoxes, l’enjeu politique était d’importance. Quelques décades plus tard, Théodose en ferait la religion d’État qui permettrait à la nouvelle religion de se déployer avec toute sa puissance. À l’heure actuelle, dans les pays anciennement communistes, nous assistons à un retour de ce déploiement de leur puissance par les Églises, orthodoxe ou catholique selon le lieu, gageons que le résultat ne sera pas meilleur. Les « païens » ont rendu à l’Église la monnaie de sa pièce en étouffant la fête chrétienne qui est devenue partout dans le monde la fête de l’argent, du commerce inutile, du gueuleton et de la mièvrerie, ersatz de l’amour qui s’adresse aux tripes mais ni au cœur ni à la tête.

Noël, fête de la Paix. Cette année nous allons fêter Noël dans un monde inquiet, angoissé, par endroits dévasté. Difficile d’oublier tous ces morts, tous ces assassinés, tous ces blessés, tous ces déportés, tous ces migrants qui ont tout perdu, leurs proches bien souvent et aussi leurs toits, leurs biens. Nous refusons de les accueillir mais il est impossible d’ignorer qu’ils sont là, à notre porte. Noël fête de la Paix ? Qui osera le dire cette année ? Même dans notre pays, hyper-protégé, qui déploie des militaires à chaque coin de rue pour nous faire croire que nous sommes en sûreté, notre pays totalement engoncé dans son refus de l’autre qui lui fait peur, notre pays qui se prépare à voter pour ceux qui le rassurent, le cajolent, quel qu’en soit le prix, même dans notre pays nous repoussons les vraies questions que toute personne devrait poser et se poser pour ne pas perdre sa part d’humanité. Il va être difficile de fêter un Noël de paix.

Noël, fête de la lumière. C’était déjà le cas avant le christianisme avec la fête du solstice, tellement les hommes ont besoin d’être éclairés, et pas seulement par les rayons du soleil, mais sur leur vie, sur l’avenir qu’ils construisent, sur la direction que le monde prend. Le Messie est venu apporter la lumière. Accepterons-nous cette lumière sur le monde et sur nous-mêmes ou le « Prince des ténèbres » va-t-il gagner ? C’est à la lumière de Noël que les chrétiens peuvent mesurer leur relation avec Dieu. La première chose que cette lumière leur montre est que la réponse de Dieu, dans ce monde injuste et cruel, se trouve dans son impuissance. Dieu ne vient pas nous juger, nous apporter la crainte ou la peur, il vient s’offrir dans son impuissance. Cet enseignement éclaire le monde d’un jour nouveau qui va à l’encontre de ce que nous constatons. Cet enseignement vaut aussi pour ceux qui ne croient pas car il touche à la Sagesse du monde. Si la force est nécessaire, la puissance ne peut pas être une réponse aux maux du monde. Si nous l’acceptons, cette lumière va bouleverser nos vies. De même que le bébé de la crèche, totalement impuissant, obtient tout de sa mère, de même Dieu attend tout de nous, mais n’exige rien. Ce n’est que par le don, totalement gratuit, que nous pouvons répondre au monde qui nous entoure.

Noël, fête des cadeaux. Le don que Dieu nous fait de sa personne est symbolisé par les cadeaux que nous faisons à nos enfants… laissons de côté les cadeaux aux adultes qui sont malheureusement souvent des objets de pouvoir ou de séduction, sans gratuité, cadeaux à des adultes qui sont allés jusqu’à organiser des sites pour revendre ce qu’on leur a offert ! Saint Nicolas, dans l’Est de la France, dans les pays d’Europe Centrale, apporte aussi des cadeaux en décembre. Mais il apporte aussi un martinet pour les enfants pas sages ! À Noël il n’en est rien. Les cadeaux ne sont pas une récompense, sage ou pas l’enfant les recevra. Ils sont un don gratuit, signes d’un amour gratuit. Quel malheur d’entendre parfois menacer des enfants de ne rien recevoir à cause de leur comportement ! C’est rentrer dans un marchandage, alors que Noël, fête du don par Dieu de sa personne à tous les hommes, est le jour du don offert sans calcul, sans retour, totalement gratuit.
Ce don gratuit nous a été annoncé par St Paul (Romains 3,23-24) : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et tous sont justifiés gratuitement par sa grâce ».

Alors si notre espérance, plus forte que la mort, se trouve dans ce don gratuit que Dieu nous révèle à Noël, si nos cœurs s’ouvrent à la lumière qui retourne nos vies en les ouvrant au don, alors malgré toutes les souffrances évoquées nous pouvons fêter joyeusement Noël, manger, boire, danser, il n’y a pas de limite à l’expression de la joie et de la reconnaissance !

M.D.
Noël 2016

Publié dans Réflexions en chemin

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L
Et moi, m'abusant moi-même à la lecture du titre si convenu de cet article, qui craignait de "tomber" sur l'une de ces injonctions à nous réjouir qu'on nous inflige ordinairement à Noël, sur fond de bergers ébahis et de Rois mages venus d'on ne sait trop où. Lénifiantes paraphrases du récit évangélique qui donnent toujours un peu l'impression que l'imagerie de la Nativité est sortie des studios de Walt Disney.<br /> Quel bien cela fait de découvrir tout l'opposé : un Noël où l'exaspération, la compassion et l'indignation font plus de bruit que tous les anges du Ciel venant entonner leur Gloria messianique. Un Noël de colère devant la dénaturation qui travestit la corporéité de l’Incarnation en un engloutissement de tonnes de bouffe. Un Noël de honte devant les milliers de réfugiés morts sur la route ou sur la mer de leur fuite, des réfugiés qui auraient tant voulu le devenir - c'est à dire des gens ayant trouvé quelque part refuge contre l'horreur - les mots pèsent parfois leur pesant d'obscénité ! Un Noël de désolation devant "notre pays totalement engoncé dans son refus de l’autre qui lui fait peur ...". Et un Noël devant tant d'autres pitiés, devant tant d'autres hontes, devant tant d'autres crimes qui resteront impunis sous le manteau - un voile n'y suffirait pas, tant pis pour la couleur locale et les vertueux prétextes - de la géopolitique et de realpolitik. Pas d'angélisme, disent-ils : au moins ont-ils tout fait, ceux qui arment les persécutions et ceux qui disent "pas de ça chez nous", pour qu'il soit vraiment difficile de se laisser aller à baigner ce Noël-ci de mièvrerie !<br /> Et pour l'intemporel (on ne peut pas regarder que les charniers du monde et les rouleaux compresseurs qui nivellent les fosses communes, y compris celles de la raisons et de la tolérance), l'article offre ce "coup de neuf’’ sur la spiritualité de Noël, de ceux qui valent un nouveau baptême dans l'intellection de la foi. Une déconstruction de la vision de Gloire attachée à la Nativité, un renversement et une reconstruction de l'annonce portée par l'Incarnation : comme un midrash qui ferait passer devant la représentation du Tout-puissant, celle de D.ieu qui vient "s’offrir dans son impuissance". Qui attend tout de cette humanité incluse dans sa création, dans une économie sans limite de l'amour où se répondent deux dons gratuits, celui que le Verbe insère dans le créé et celui dont il a fait le pari que le créé le produira à son tour.<br /> Un don gratuit et qui l'est parce qu'aucune monnaie d'échange n'aurait pu tenir face à la gratuité initiale de ce qui procède de la transcendance. Ce que fait résonner dans la musique des mots, la citation de Paul, si opportunément présente à la fin de l'article : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu, et tous sont justifiés gratuitement par sa grâce ».
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