Les « Tisserands » du monde qui vient
Dans son dernier ouvrage intitulé Les Tisserands, le philosophe Abdennour Bidar développe une réflexion et des propositions concrètes pour « réparer ensemble le tissu déchiré du monde »1. Ce livre part d’un constat : « La volonté de tous les politiques et de tous les intellectuels de continuer à « fabriquer du sens », et à « fabriquer de la civilisation » à la mode du XXe siècle, c’est-à-dire de manière totalement plate, sans horizon de sagesse, mais uniquement à coup de considérations géopolitiques, économiques et sociologiques est un anachronisme flagrant »2.
Pour notre auteur, toute réflexion pour le renouveau du civisme et de la civilisation doit prendre en compte les trois grandes déchirures que vit l’homme de la modernité : avec son moi le plus profond, avec autrui, et avec la nature. Ce qu’il appelle les « pyramides religieuses », aujourd’hui en crise, ont prétendu traiter ces déchirures. Bien loin de se cantonner aux religions, ces pyramides qui consacrent la division entre des minorités détentrices de l’argent, du savoir ou des cléricatures sont partout : « Laquelle de nos institutions sociales ne fait pas partie de la foule immense des pyramides religieuses ? »3. Le chemin est à chercher, non plus dans un nouveau « grand discours », mais dans l’attention portée à tous ceux qui tissent à nouveau le lien social : « Nos grands medias sous-estiment le phénomène. Nos politiques n’en ont cure. Notre système économique injuste, fondé sur le profit, n’en a pas encore compris la menace pour lui. Mais déjà, un peu partout dans le monde commencent à se produire un million de révolutions tranquilles. J’appelle Tisserands les acteurs de ces révolutions »4.
Ces inventeurs d’une autre façon d’habiter le monde, on les trouve, entre autres, chez Les Colibris initiés par Pierre Rahbi ou ces Créatifs culturels qui se donnent pour but de restaurer la qualité de tous les liens endommagés ou rompus5. Pour favoriser la mise en réseau de ces créations sociétales, Abdennour Bidar a créé, Sésame, un centre de culture et de recherche spirituelles « ni universitaire, ni religieux où nous proposons d’explorer, partager, réinventer le spirituel de notre temps »6).
Il s’agit, écrit-il, « de faire converger, de manière féconde, le maximum de souci de soi avec le maximum de sens du collectif »7. Pour cela, il convient de dépasser les époques où les religions séparaient le sacré du profane. Cette division n’a pas de sens dans la mesure où ce que nous considérons comme « sacré », loin d’être séparé, se joue dans le profane. Abdennour Bidar cite la charte de l’association Démocratie et Spiritualité pour illustrer sa vision post-religieuse du spirituel qu’il propose à tous les Tisserands d’un nouveau monde : « Le spirituel : ce qui fait appel à l’intériorité de l’homme, lui fait refuser l’inhumain, l’invite à s’accomplir dans une recherche de transcendance et à donner du sens à son action, le met à l’écoute des autres et le porte à donner, échanger, recevoir »8.
Bernard Ginisty
1 – Abdennour Bidar : Les Tisserands. Réparer ensemble le tissu déchiré du monde, éditions LLL Les Liens qui Libèrent, 2016.
2 – Id. page 119
3 – « Partout des tours vertigineuses, partout des gratte-ciel, partout une hiérarchie ouverte ou discrète qui élève au-dessus de tous les autres la petite élite de ceux qui détiennent jalousement le capital, le pouvoir ou le savoir. Le vocabulaire change, les costumes et les symboles aussi, mais la structure reste la même. Nous ne sortirons pas des ères religieuses avec des institutions qui n’en modifient que l’apparence tout en perpétuant leur fond » Id. page 140.
4 – Id. page7
5 – Cf. Les Créatifs Culturels en France, éditions Yves Michel 2006
6 – www.centre-sesame.com <http://www.centre-sesame.com>
7 – Abdennour Bidar, op.cit. page 168
8 – Id. page 29. Voir le site de l’association : www.democratieetspiritualite.org