Dans l’œil du cyclone : éducation populaire à Marseille

Publié le par Garrigues et Sentiers

La cité Font Vert est située dans le quartier Nord de Marseille, au sud du XIVe arrondissement, non loin de la sortie des Arnavaux sur l’autoroute A 7. Elle est travaillée par les mêmes fléaux que toutes les autres, drogue, insécurité, propagande djihadiste, règlements de compte. Mais au sein de ces tempêtes il existe une population qui a décidé de vivre en se créant volontairement un cadre de vie approchant le plus possible d’un quotidien acceptable, et une structure assez peu commune qui a décidé depuis longtemps de les y aider.
La Maison des Familles est donc un équipement d’éducation populaire et d’action sociale du quartier dont le président, Henri-José Deulofeu, jeune retraité précédemment professeur de linguistique française à l’Université de Provence, a accepté de répondre à nos questions.

GS : Quelle est la structure de cet équipement dont vous présidez l’organe de gestion ?
La Maison des Familles est à la fois un centre social et une Maison pour Tous. La Mairie de Marseille a souhaité cette fusion qui lui permet à la fois de proposer divers services à une population défavorisée et des activités sportives ou culturelles à un public plus inséré. La création des Maisons pour Tous, en 1981, répondait à la volonté d’offrir à une population modeste d’avoir accès à des avantages réservés d’ordinaire à des milieux plus aisés : des loisirs sportifs, la pratique du ski, des séjours de vacances... Mais avec la crise et la montée du chômage, les Maisons pour Tous et les Centres Sociaux ont été sollicités davantage pour combler des besoins plus vitaux. Le Conseil Départemental ne finance plus les séjours à la montagne et donne priorité au versement du RSA.
La Maison des Familles est gérée sur le modèle de la loi de 1901, par des élus et des habitants motivés par l’action collective. Y adhèrent soit des individus, soit des associations. Ses adhérents sont au nombre d’environ 500, provenant des cités de Font Vert et de la Bénausse, dans le quartier de Saint Barthélemy. L’assemblée générale élit un Conseil d’Administration, dans lequel figurent aussi des membres de droit (Caisse d’allocations familiales, Mairie, Conseil Départemental), qui n’y sont que très rarement présents. L’avantage de ce mode de gestion est de ne pas avoir à se plier aux contraintes imposées par les fédérations d’éducation populaire. En contrepartie, la structure doit se prémunir du danger de noyautage par des groupes de pression locaux.
Depuis une dizaine d’années l’Association gère deux équipements : la Maison des Familles proprement dite et le Centre Social des Flamands. Chaque équipement a son propre Conseil d’Usagers et les personnels sont sous la houlette de deux directeurs. L’existence d’un seul Conseil d’Administration garantit la mutualisation des moyens.
Le nouveau Maire de secteur, élu du Front National, s’est contenté d’une visite à la Maison des Familles, mais cette Mairie ne joue pas de rôle institutionnel vis à vis de la structure, et les relations sont inexistantes. On s’est contenté de relever les fautes d’orthographe et de langue de son site et d’en suggérer la correction, ce qui nous a valu ses remerciements.

GS : Quels sont ses objectifs et ses fonctions ?
Les objectifs de la Maison des Familles à l’heure actuelle peuvent se définir comme une aide aux besoins d’une population démunie aux différents âges de sa vie. Il faut faire la démarche de s’y inscrire pour bénéficier de l’offre. La fonction d’accueil du public est capitale : on s’attache à soigner l’accueil de tous ceux qui se présentent, car une simple liste d’actions n’est pas forcément motivante. Le fonctionnement du système bénéficie de l’action particulièrement exemplaire des deux directeurs, Marcelo Chaparro, qui apporte une  rare expérience de l’action sociale allant des faubourgs de Santiago du Chili à Vaulx-en-Velin, et Daniel Linon, expert des actions multiculturelles.
L’équipement propose une aide à la fonction parentale, qui concerne les familles désorganisées par le chômage ou les situations monoparentales, auxquelles il faut apporter une aide dans l’organisation de leur quotidien pour offrir des repères stables à leurs enfants. Quand arrive l’âge de la scolarité, elles pourront recourir à une offre de médiation entre les parents et l’école. Beaucoup de familles en effet n’ont pas une idée précise des exigences d’une scolarité réussie, ni des débouchés auxquels elle peut conduire. Ce contexte engendre souvent des situations conflictuelles, et une cellule de dialogue entre l’école et les familles permet de les traiter avec la présence d’un médiateur. Les animateurs qui s’y attachent agissent soit de manière préventive, soit en situation de crise : ils amènent les familles à formuler leurs inquiétudes ou leurs griefs, et sont à même de les accompagner dans la relation avec les équipes pédagogiques.
Une aide aux devoirs est organisée, grâce à des retraités bénévoles et des étudiants rémunérés. Les adolescents ont accès à des activités sportives et culturelles pour le temps des loisirs et des vacances. Ce travail se fait en liaison avec des associations sportives, qu’on choisit en fonction de leur orientation éducative et leur refus de la sélection précoce ; mais aussi avec des associations qui développement les pratiques artistiques, plastiques et musicales. La Maison dispose d’un studio qui permet à des jeunes qui le souhaitent de monter des groupes musicaux. Il est intéressant de noter qu’on a cessé de proposer des formations à l’informatique : la population a ses propres équipements et sait les utiliser par ses propres moyens.
Lorsque l’
État a édicté les nouveaux rythmes scolaires, la Ville a tenté d’imposer un engagement à la Maison des Familles. L’obstacle auquel on s’est heurté est que le système périscolaire municipal n’a pas été conçu en tenant compte des activités déjà en place dans les équipements, et qui elles relevaient de la démarche d’éducation populaire. De plus, le périscolaire s’arrête aux vacances, ce qui complique encore davantage la coexistence des projets. La Maison des Familles se limite en la matière à prêter des locaux aux associations engagées dans le périscolaire lorsqu’elles en éprouvent le besoin.

GS : Les activités visent-elles d’autres publics que la jeunesse ?
L’équipement propose beaucoup d’activités destinées au public du troisième âge. Les élus s’y intéressent plus volontiers qu’aux autres. Parmi les plus fréquentées, un Forum de la Santé, en partenariat avec la caisse de retraite AG2R. Citons aussi la participation d’un groupe de femmes qui cuisinent pour toutes les manifestations de la Maison des Familles ; elles préparent aussi une fois par semaine un repas ouvert au public. Avec les sommes ainsi recueillies, elles organisent des voyages.
Deux activités sont destinées à un public multi-âge. Les ateliers santé-nutrition proposent des conseils diététiques et des ateliers de pratique culinaire pour des repas équilibrés à des prix abordables. Le précédent Conseil Départemental avait cessé de les subventionner, mais la nouvelle majorité a rétabli ses aides.
L’autre activité est celle des jardins partagés. Ils ont été installés sur des terrains vagues jouxtant la cité et la voie ferrée vers Aix, qui avaient été à l’origine prévus pour des espaces verts jamais aménagés, et qui n’auraient pas correspondu aux pratiques de la population, pour qui les actions utilitaires sont les plus légitimes. Ils se composent de 40 parcelles de 50 m2 chacune. Le projet a reçu l’aide d’un ingénieur retraité du CNRS qui a notamment apporté ses compétences en matière de botanique. Les espaces publics au pied des immeubles étant désertés parce qu’ils sont l’apanage des dealers, le rôle d’espace de rencontres s’est reporté sur les jardins, et un abri collectif y joue le rôle d’une sorte de buvette où les habitants se retrouvent et échangent.

GS : Comment gérer les deux fléaux qui tourmentent ce type de cités, la drogue et la propagande djihadiste ?
Malgré la présence d’un fort trafic de drogue et l’existence de nombreux règlements de compte, les dealers ne se sont pas attaqués aux jardins. Une phase d’adaptation en ce domaine a été nécessaire. Les responsables de l’équipement ne prennent aucun contact direct avec les dealers. On se contente de transmettre par des canaux indirects l’information qu’ils ne joueront jamais le rôle d’informateurs de la police.
Des tentatives de noyautage djihadiste ont naturellement eu lieu. Elles sont analogues à celles que met en scène le film de Philippe Faucon, La Désintégration. On a ainsi détecté les manœuvres d’une association dont les discours étaient imprégnés par cette idéologie. La question a pu être résolue grâce à la manière dont la structure gère l’adhésion des associations. Lorsqu’une d’entre elles veut adhérer, elle doit présenter oralement ses objectifs et ses actions pendant une quinzaine de minutes devant le Conseil d’Administration, qui peut lui refuser l’adhésion. La Maison des Familles a la réputation d’une organisation rigoureuse et stricte : il est ainsi plus difficile de la perturber que d’autres structures moins exigeantes.

GS : Vers quel avenir se dirige cette structure ?
Comme on le disait tout à l’heure, la situation générale a conduit la Maison des Familles à infléchir l’essentiel de ses actions vers des propositions liées à la récession. Le Conseil Départemental finance les services d’un personnel chargé de l’insertion professionnelle des chômeurs de longue durée, en liaison avec la zone d’activités industrielles et artisanales Arnavant. Chaque année un groupe d’une vingtaine de personnes a été pris en charge, et cette action a abouti à une moyenne de dix à douze réinsertions, quinze la meilleure année : mais le projet est coûteux et sa survie est toujours précaire. D’autre part, la structure offre une aide juridique destinée à assister les personnes qui sont à bout de ressources pour faire face à leurs traites ou à leurs frais de loyer, et tenter d’éviter les expulsions.
L’axe essentiel de la Maison des Familles s’est donc déplacé depuis la période d’euphorie économique où il s’agissait de fournir aux plus modestes un accès aux loisirs des classes plus favorisées, vers une attention centrée essentiellement sur l’aide aux personnes les plus marginalisées par la crise.

José Deulofeu

Publié dans DOSSIER EDUCATION

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