Le chemin non totalitaire vers l’infini de l’humain

Publié le par Garrigues et Sentiers

En 1986, le pape Jean-Paul II initiait à Assise une première rencontre des représentants des religions et des sagesses autour du thème de la paix. Depuis, cette manifestation s’est régulièrement renouvelée et la cinquième s’est tenue du 18 au 20 septembre dernier.
On pourrait penser que ces rassemblements visent à constituer une sorte d’union sacrée des religions face à la déferlante d’une sécularisation croissante des sociétés modernes. Or, il s’agit, bien au contraire, d’inviter tous ceux qui se réclament d’une démarche religieuse à devenir, dans le monde, des artisans de paix.

Dans son discours de clôture, le pape François s’est exprimé ainsi : « La prière et la volonté de collaborer engagent une vraie paix qui n’est pas illusoire : non pas la tranquillité de celui qui évite les difficultés et se tourne de l’autre côté, si ses intérêts ne sont pas touchés ; non pas le cynisme de celui qui se lave les mains des problèmes qui ne sont pas les siens ; non pas l’approche virtuelle de celui qui juge tout et chacun sur le clavier d’un ordinateur, sans ouvrir les yeux aux nécessités des frères ni se salir les mains pour qui en a besoin. Notre route consiste à nous immerger dans les situations et à donner la première place à celui qui souffre ; d’assumer les conflits et de les guérir de l’intérieur ».
C’est donc au travail très concret de construire la paix auquel sont invitées les traditions religieuses dans leurs diversités. Et François envisage quatre étapes dans cet itinéraire : le pardon mutuel, l’accueil à la différence qui ne soit pas une tolérance polie, mais un réel intérêt à ce qu’apporte l’autre, la collaboration concrète au service des hommes et le développement d’une éducation à la culture de la rencontre. Pour cela, toutes les traditions religieuses doivent « se libérer des lourds fardeaux de la méfiance, des fondamentalismes et de la haine »1.

L’universalité de la grâce invite chacun à recevoir et assumer ce qu’il a d’unique et non à rêver de conquêtes institutionnelles. Nous sommes tous fondamentalement minoritaires. L’humanité se construira par des relations entre des hommes s’assumant uniques et différents, en cela fils d’un même Père. C’est ce que déclarait le Pape François à Assise : « Nous n’avons pas prié aujourd’hui les uns contre les autres, comme c’est malheureusement arrivé parfois dans l’histoire. Sans syncrétisme, sans relativisme, nous avons en revanche prié les uns pour les autres ».

Dans son magnifique commentaire de l’Évangile de Jean, le poète Jean Grosjean écrit : « L’illusion de Babel était de croire obtenir la clarté du ciel par quelque espéranto, mais l’intervention révélatrice du ciel a été de renvoyer chaque tribu à ses propres syntaxes. Car l’humain n’approche du divin que par des particularismes »2.
Il nous appartient de vivre notre singularité grâce à laquelle nous ne sommes pas des clones, non comme une frontière pour convertir ou exclure mais comme une vocation à rencontrer, voire susciter, d’autres identités particulières. La fraternité entre des hommes assumant leur singularité apparaît alors comme le chemin non totalitaire vers l’infini de l'humain.

Bernard Ginisty

1 – Pape Francois : Jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence, extraits du discours du Pape François prononcé à Assise le 20 septembre 2016 in journal La Croix du 21 septembre 2016, pages 2 et 3.
2 – Jean Grosjean : L’ironie christique. Commentaire de l’Évangile selon Jean, éditions Gallimard 1991, page 17.

Publié dans Signes des temps

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L
Comment ne pas citer tout particulièrement après lecture de ce bel article : "l'intervention révélatrice du ciel a été de renvoyer chaque tribu à ses propres syntaxes". La plus extraordinaire expression spirituelle que j'aie jamais lue de ce que nous appelons, en regard, si pauvrement la tolérance. Ce qui ne retire hélas rien au besoin que plus que jamais sans doute, nous avons de la fortification que celle-ci doit élever contre la fureur de toutes les croisades - qu'elles soient à l'oeuvre ou dans l'attente de leur (nouveau) déchaînement. Cette fortification dont les bâtisseurs, hommes et femmes de bonne volonté au sens le plus fort de ces termes, interpellent toutes les religions en leur adressant effectivement l’injonction de « se libérer des lourds fardeaux de la méfiance, des fondamentalismes et de la haine ».
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J
Le Pape François a eu des paroles fortes comme celles-ci : « Ne nous lassons pas de répéter que jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence »<br /> On ne peut que saluer cette initiative et se réjouir qu’elle ait eu lieu.<br /> Cependant, cette rencontre n’a abordé qu’une partie de la question : la violence des religions les unes contre les autres.<br /> Il en existe une autre, complètement passée sous silence, comme un angle mort et qui crèvent les yeux : la violence exercée sur les femmes à l’intérieur des religions elles-mêmes. A commencer par le fait que les 500 « dignitaires » des 9 religions représentées, étaient à quelques exceptions, tous des hommes. Avaient-ils conscience de la violence symbolique de cette situation? La violence d’une exclusion des femmes, qui de fait, disait que ces religions ne considèrent pas les femmes comme pouvant les représenter.<br /> Cette violence est en elle-même énorme et à ma connaissance aucun média ne l’a souligné. Aucun représentant de ces religions n’a fait son mea culpa tellement cette violence est occultée.<br /> Mais la conversion des religions devaient aussi porter sur leur comportement vis-à-vis des femmes.<br /> Je rêve d’un Assise où chacune de ces 9 religions arriveraient avec un nombre égal de femmes et d’hommes pour réfléchir comment éradiquer la violence dont sont victimes les femmes dans leur religion respective.<br /> « Le nom de Dieu ne peut justifier la violence » dit fort justement le Pape François. Et pourtant c’est bien une certaine conception de Dieu qui discrimine les femmes dans presque toutes les religions.<br /> Quelques exemples parmi des centaines :<br /> Si vous êtes bouddhiste, vous croyez que le progrès dans votre prochaine réincarnation sera de devenir un homme si vous êtes femme. Les nonnes bouddhistes sont considérées inférieures aux moines. Cela dit une hiérarchie qui place le masculin au sommet…<br /> Si vous êtes musulmane dans des pays où la charia tient lieu de loi, vous pouvez être lapidée, fouettée, vous êtes relayées dans un coin de la mosquée derrière un rideau et légalement vous avez un statut inférieur…<br /> Si vous êtes juive dans le judaïsme orthodoxe vous êtes relayée à l’étage de la synagogue sans participation active à la liturgie et des femmes se battent actuellement pour pouvoir prier comme les hommes au mur des lamentations, huées par des religieux intégristes.<br /> Si vous êtes catholiques romaines…vous êtes exclues des ministères qui seuls habilitent aux fonctions de gouvernement d’enseignement et de sanctification (= donner les sacrements)<br /> Sans parler de la violence domestique qui n’a pas besoin de religion pour s’exercer mais dont les religions peuvent justifier les pratiques ou en tout cas ne les condamnent pas.<br /> Des choses bougent…lentement. On peut s’en féliciter. Il y a des femmes rabbins dans le judaïsme libéral ( Deux en France : ont-elles été invitées à Assise ?) des femmes imams qui animent des prières où hommes et femmes sont ensembles ( Ont-elles été invitées à Assise ?), des femmes pasteurs, évêques dans le protestantisme et dans l’Eglise vieille-catholique de l’Union d’Utrecht…(ont-elles été invitées à Assise ?) La photo ne donne pas beaucoup d’espoir en ce sens.<br /> I have a dream déclarait Martin Luther King. Le combat contre le racisme n’est pas fini, celui contre le sexisme dans les religions ne fait que commencer !<br /> Il y a là un enjeu pour la crédibilité des religions. Elles sont actuellement de plus en plus critiquées pour les discriminations qu’elles maintiennent envers les femmes. Car enfin, comment éradiquer la violence intercommunautaire si on ne balaie pas devant sa porte !<br /> La catholique que je suis en est particulièrement touchée en sachant à quelle source la foi chrétienne peut puiser pour être libératrice: l’Evangile de liberté, de justice, d’égalité de Jésus.<br /> Michèle Jeunet<br /> http://aubonheurdedieu-soeurmichele.over-blog.com/2016/09/la-rencontre-interreligieuse-d-assise-la-violence-occultee.html
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L
Il fallait absolument que cela fût dit - en contrepoint. Parce que l'enjeu mis en évidence par Michèle Jeunet est d'un importance égale, ou plutôt est chargé du même poids que celui qu'expose et que développe le discours du pape François à Assise. Tout simplement parce que ces deux enjeux sont inséparables : le fondamentalisme est un, et cette union est d'abord faite, dans son expression, de la discrimination, de l'humiliation et de la violence dont tous ciblent le féminin. Oui, contre les femmes, le fondamentalisme "est un bloc". Je reviendrai par un commentaire, auquel je réfléchis, sur le lumineux et combatttif propos publié par "aubonheurdedieu-soeurmichele". Je me réjouis profondément de le retrouver et de le relire ici, et j'espère que beaucoup de lecteurs de "Garrigues et Sentiers" lui accorderont toute leur attention. Didier LEVY