Méditations d’été sur des universités d’été...
La période de fin des vacances est chaque année fertile en manifestations organisées par les mouvements politiques qu’il est convenu d’appeler des universités d’été. Le mot université est peut-être audacieux pour caractériser le contenu de ce genre de rencontres qui, par ailleurs, marquent inéluctablement la fin de l’été !
Elles ouvrent la saison du spectacle politicien : petites phrases assassines, embrassades d’un soir, disputes du lendemain, réconciliation du surlendemain. Tout cela fait certes les délices des gazettes, surtout en cette période de primaires en vue de l’élection présidentielle. Seuls les acteurs ne semblent pas s’apercevoir que le spectacle amuse de moins et moins et que la salle se vide. Ce que traduit, à chaque scrutin, la montée régulière de l’abstention.
Ces remarques ne sont pas une invitation au retrait dans sa tour d’ivoire et à la désertion du champ politique. D’autant plus que si nous l’abandonnons celui-ci nous rattrape toujours et souvent de la pire façon. Aristote a défini l’homme comme un animal politique. Ce n’est certes pas pour le vouer au destin de ce que l’ancien premier ministre Raymond Barre appelait le microcosme. Mais pour lui rappeler qu’il n’a pas de destin solitaire. C’est ensemble que nous construirons un monde meilleur ou laisserons les forces toujours renaissantes de la barbarie submerger ce que nous croyons, imprudemment, des acquis définitifs. Le 20e siècle aura été terriblement éloquent à ce sujet.
Aux grandes émotions succèdent souvent des lendemains blêmes. Et le meilleur moyen d’éviter les gueules de bois c’est de sortir des langues de bois qui procurent le confort de clivages faciles. Un personnage médiatique, des réunions de militants, des grandes déclarations journalistiques peuvent être à l’origine d’un ébranlement personnel. Mais l’essentiel reste à faire : le cheminement quotidien dans la complexité des choses et la lutte contre la résignation. Il y a un confort de l’émotion, comme il y a un confort de la critique. Il est donc aussi vain de s’abandonner sans retenue aux émotions militantes que de s’enfermer dans un repli critique et désabusé.
Vaclav Havel, dissident sous le régime communiste avant de devenir chef d’État, a tenté de faire de la politique ce qu’il appelait une manifestation de la vie dans la vérité. Dans un ouvrage intitulé Méditations d’été écrit pendant son mandat présidentiel, il écrit ceci : « En dépit de la misère politique à laquelle je suis quotidiennement confronté, je suis profondément persuadé que la politique n’est pas une sale affaire dans son principe. (…) J’admets qu’il s’agit d’un domaine qui peut mener plus facilement que d’autres aux indécences et qui par conséquent exige plus de ceux qui s’y consacrent »1. Pour lui, « elle est une lutte dans laquelle ne sont pas seulement engagés les gens bons (parmi lesquels, je l’avoue, je me compte) contre les mauvais, les gens honnêtes contre les malhonnêtes, les gens qui pensent au monde et à l’éternité contre ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes et au moment présent. Cette lutte se déroule en chaque homme. C'est, au fond, la lutte qui fait d’un homme un vrai homme et de la vie, la vraie vie »2.
Trop de médias voudraient nous faire croire que la politique serait une affaire de tueurs, de faiseurs, de gestionnaires de clientèles, de petits machiavels libérés de tout problème de conscience. Havel nous rappelle qu’elle est d’abord une discipline de l’art de vivre et relève d’un certain esprit de résistance spirituelle : « Il se peut que je sois déjà assommant, mais je ne peux que le répéter : sans bonne foi, sans courtoisie, sans mesure, sans goût de la justice, sans sens des responsabilités, amour de la vérité et amour du prochain, toutes les règles et les institutions politiques sont des objets morts et sans valeur, comme un ordinateur ou un téléphone s’il n’y a personne qui sache s’en servir »3.
Bernard Ginisty
1 – Vaclav Havel (1936-2011) : Méditations d’été, éditions de l’Aube, 1992, page 14
2 – Idem, pages 148-149
3 – Idem, page 152