Le Burkini, ou le comble de la déraison
Cette affaire me plonge dans un abîme de perplexité, les prises de positions se multiplient, les média s'en donnent à cœur joie, les politiciens s'affrontent, les institutions républicaines s'impliquent et ce bout de chiffon, tel un détonateur, a réactivé les passions sur les relations entre la République et l'Islam. Que faut-il penser, où est la raison ? J'avoue ne pas trouver de réponse sereine, je suis en pleines contradictions dont je n'arrive pas à sortir. Je livre ici mes états d'âme que j'illustre par quelques anecdotes.
Lors d'une escapade à l'Aiguille du Midi depuis Chamonix, alors que je faisais une halte à la station intermédiaire j'aperçu, à distance, deux femmes et un adolescent crapahutant dans les rochers ; ces deux femmes intégralement emballées d'une burka noire sautaient de rochers en rochers et semblaient y trouver du plaisir. Au retour, ces mêmes femmes (je présume que c'était des femmes) et l'ado étaient assis à l'écart, sur un banc, dans la station en attente de la benne pour la descente. On pouvait apercevoir leurs yeux par une mince fente dans leur vêtement (et l'une d'elles portait des basquets rose)… Pendant un instant, j'ai pensé à une apparition de Belzébuth, d'anges noirs. Cette présence insolite, dans cette montagne somptueuse, m'a rempli de fureur et de tristesse. J'aime la montagne et j'ai ressenti cette présence comme une offense à la nature, comme un manque de respect à l'égard de la montagne où on touche au sacré. Lorsqu'on entre dans une mosquée, on se déchausse par respect pour le sacré du lieu mais le massif du Mont Blanc n'inspire pas à tous le même respect.
Cette métaphore des anges m'amène à proposer une analogie scabreuse avec le scénario du film Under the skin (Sous la peau). Un thriller dans lequel des extraterrestres malveillants arrivent sur la Terre, dépècent (la scène est seulement suggérée) une femme (Scarlet Johanson) et l'un d'entre eux se revêt de sa peau. Alors cet être attire les hommes avec ses formes appétissantes en vue de les tuer et ainsi accomplir sa mission de mort. Passons sur les péripéties du scénario mais disons que parmi ses victimes glauques et vulgaires dont le film veut nous laisser penser qu'elles sont le commun des habitants de la Terre, cet extraterrestre rencontre un homme bon, il découvre que dans l'espèce humaine il existe aussi de la générosité et de l'amour ce qui le rend perplexe. Si dans le film, sous la peau de cette créature humaine, il y a un monstre noir, malveillant, n'y a t-il pas – en symétrie – sous ces femmes fantomatiques vêtues de noir un ange blanc qui veut cacher sa pureté aux yeux des impurs et protéger sa dimension sacrée ?
Ce sacré, je l'ai pressenti en me baladant dans une ville : deux femmes marchaient en se tenant par la main, elles bavardaient et riaient en avançant tranquillement comme deux bonnes amies ; l'une portait un vêtement blanc de religieuse chrétienne, coiffée d'un foulard bleu qui cachait ses cheveux, la seconde – à l'évidence musulmane – était vêtue d'une tunique brune, la tête couverte d'un voile bleu qui cachait ses cheveux... Ces deux femmes étaient joyeuses et cette vision m'a ému... J'ai imaginé deux anges blancs. Mais, plus tard, j'ai retrouvé Belzebuth (sans baskets roses) dans l'aéroport d'Istanbul où deux femmes intégralement couvertes déjeunaient dans un snack, au milieu de la foule des passagers (il n'y a pas encore, à Istanbul, capitale d'un pays théoriquement laïc, de restaurant réservé aux femmes, comme c'est souvent le cas ailleurs). Quelles contorsions n'ont-elles pas faites pour d'une main relever le tissu de leur voile et porter une fourchette à leur bouche tout en se cachant derrière l'autre main... c'était comique...
Cette affaire du Burkini est absurde ! Pourquoi les femmes ne peuvent-elles se baigner couvertes comme elles l'entendent, avec 7 voiles comme Schéhérazade ou nues, dans la limite de la pudeur ? Cependant, on n'est pas là dans un rapport à la pudeur mais, bien évidemment, dans un rapport au religieux : les choses se compliquent et les esprits s'échauffent. Dans de nombreux pays les femmes n'ont pas le droit d'aller à la plage et encore moins de se baigner, ailleurs, elles font trempette entièrement vêtues. Alors cette mode du Burkini ne serait-elle pas, en France, une étape vers la modernité et faut-il l'entraver ? Au nom de quelles valeurs ? Les justifications avancées pour l'interdiction du burkini sur une plage et dans l'eau sont non seulement une atteinte aux libertés mais aussi absurdes, incohérentes avec les règles de vie commune en France dans les espaces publics. On est dans la déraison absolue. On est devenus fou, on a peur et si menace il y a interdisons tout signe religieux pour tous dans tout espace public, sur les plages mais aussi dans les rues.
À la normalisation nécessaire des rapports entre la République et l'Islam les deux parties sont contraintes d'apporter chacune leur contribution mais avec la réaction des instances républicaines sur le burkini, on ne traite qu’un détail. N'y a-t-il pas des questions plus brûlantes et urgentes à prendre à bras le corps dans les relations avec l'Islam, en France et dans nos relations internationales ? La route sera longue que la perspective de l'échéance de 2017 rend périlleuse.
Et pourtant, je confesse avoir besoin de me raisonner pour dominer ma tristesse et ma pulsion de fureur à la vue de ces ectoplasmes. Oui, la femme est sacrée, elle est la génitrice, la déesse-mère, le passé et le futur de l'humanité, la permanence, l'éternité mais je ne parviens pas à accepter les motivations qui conduisent les musulmanes à couvrir leur corps, à cacher leur féminité ! Quel besoin impérieux, quelle contrainte religieuse, culturelle ou sociale amène ces femmes à se vêtir ainsi ? Est-ce pour vivre intimement et intensément le caractère sacré de la vie, pour dire leur pureté, pour se protéger, pour marquer leur différence à l'égard des femmes occidentales, pour provoquer, pour dire leur soumission, à qui, à quoi ? Pour témoigner de leur foi en un Dieu exigeant ? Si c'est leur croyance, très bien mais ça ne m'intéresse pas, je n'ai pas besoin de le savoir, je n'en ai rien à faire... Si... j'en ai à faire ! Elles me disent ainsi que leur religion, comme les autres d'ailleurs, n'existe pas sans ses rites, sans ses signes distinctifs, visibles, sans le regard des autres et qu'elle ne se situe pas uniquement dans l'intimité de l'être. Cela me désole et je ne peux pas croire qu'au tréfonds de leur esprit il n'y a pas un brin d'envie de vivre librement comme les autres femmes et vivre intensément la vie comme un cadeau de Dieu autrement que sous l'apparence d'un ectoplasme (ce qui n'était certainement pas le dessein de Dieu). Il faut accepter les cadeaux et en jouir...
Oui, je suis perplexe, plein de contradictions, où puis-je trouver la sérénité ?
Pierre Moulin