« Être fier de… »
L'expression « être fier de » me hérisse.
À la rigueur, on peut être fier d'une réussite personnelle : un sportif d'un exploit physique, un savant d'une découverte importante, un artiste d'une œuvre qu'il a longtemps portée et qui est là, devant nous… Mais être fier d'appartenir à un collectif ?
Être fier d'être corse ou limousin, d'être supporter d'une équipe de foot ou de son "orientation sexuelle" : il n'y a pas de quoi. Il y a en Corse ou en Limousin des braves gens, des héros, des pauvres types, des crapules… en quoi suis-je redevable ou concerné par ces hauts et ces bas de ma région ? L'équipe que je soutiens a ses mérites, souvent liés au fric qu'elle peut mettre dans l'achat (sic) de ses joueurs. Être homo ou hétéro ne donne aucune garantie sur l'être profond que je peux être, ma générosité ou mon égoïsme…
C'est comme les parents qui sont fiers de la réussite de leur enfant à un examen : ils peuvent "être fiers" des sacrifices qu'ils ont pu faire pour que leur enfant en arrive là, mais le succès est celui de l'enfant ; normalement, il ne réussit pas pour rendre ses parents fiers (il peut néanmoins être heureux de leur faire ce plaisir) mais pour s'élever vers le monde adulte. Notons que j'utilise ici le verbe élever au sens où l'on dit que des parents élèvent leurs enfants, pas forcément par rapport à une échelle sociale arbitraire, mais en progression de sa personnalité.
Il en est de même pour les nations. Quel pays n'a pas, à un moment ou un autre de son histoire, produit de grandes choses ? Quel pays n'a pas, à un moment de son histoire, accompli les pires horreurs ? Qui aurait pu prévoir que l'Allemagne de Bach, de Gœthe, d'Einstein serait l'exécuteur de la shoah ? Qui peut dire des colonisations française, anglaise, hollandaise, belge… qu'elles ont été entreprises au seul bénéfice des autochtones ? Doit-on en être fier ? Malgré les erreurs, les abus, voire les crimes commis, n'y a-t-il eu aucun apport positif – en dépit de leur plein gré – de ces incursions d'un ailleurs plus développé ? Et ceux-là mêmes qui condamnent les colonisations (confondues d'ailleurs avec le colonialisme, quoique la distinction ne soit pas toujours facile à établir) n'ont-ils pas eux-mêmes, dans leur passé, usé de leurs forces pour des conquêtes injustes et brutales : tel pays africain contre ses voisins et participant au trafic esclavagiste, l'empire aztèque, détruit pas la conquête espagnole, certes, mais lui-même dominant, parfois férocement, le pays au sud du Mexique ? L'expansion de l'Islam n'a pas été une partie de plaisir pour les régions occupées : elle a fini par briser la puissance de l'Empire byzantin, qui lui même n'était pas sans reproche. Etc.
Bref, l'homme n'est pas bon, même s'il se trouve dans l'humanité des héros et des saints.
Alors, il n'y a pas de quoi être fier d'être homme, ni de quoi que ce soit. Essayons simplement, humblement d'humaniser l'homme.
Pour les chrétiens, il existe un modèle : Jésus.
Or on n'a jamais lu qu'il s'était déclaré fier de…
Même pas d'être fils de Dieu !
Marc Delîle