D’autres étés…
Il y a une quarantaine d’années de cela, une collègue de travail me disait : « On naît toujours trop tôt car le progrès social et la croissance vont toujours de l’avant et ceux qui naîtront maintenant bénéficieront encore plus que nous de meilleurs salaires et de toutes les nouveautés techniques qui améliorent l’existence ». J’approuvais alors sans réserve.
Or l’avenir m’a prouvé que ce raisonnement était faux. En réalité il faut naître au bon moment et au bon endroit et c’est une question de chance.
À mon avis ce meilleur moment se situait entre 1946 et 1950 en France.
1960, c’était l’époque où sur le marché sortait toute la panoplie du confort, ce que beaucoup d’enfants et d’adolescents n’avaient jamais connu jusque là : un logement avec salle d’eau, WC, eau chaude. Le réfrigérateur, la machine-à-laver faisaient leur apparition dans les foyers. Il en était de même pour les premières télévisions en noir et blanc.
Le chômage pour les jeunes ne se faisait sentir que par manque de formation. Les plus de cinquante ans en recherche d’emploi ça n’existait pas, les statistiques sur le nombre de chômeurs non plus.
La jeunesse des familles modestes assoiffée d’idéal trouvait celui-ci dans l’action au sein des syndicats faute de le trouver dans un travail répétitif qui leur apportait cependant un salaire. Antoine, le chanteur, restait le modèle d’idéal signifiant que nous avions tous la possibilité de changer de métier si ce dernier ne nous convenait pas.
La promotion pour ceux et celles qui voulaient réussir dans leur métier existait. Beaucoup de petits ouvriers rêvaient de se mettre à leur compte et y parvenaient sans se trouver sous le joug d’un gouvernement qui les contraignait à pratiquer l’illégalité en travaillant au noir pour survivre.
Nous n’entendions pas parler de l’immigration. Les Italiens, Espagnols, Arméniens, Polonais souvent désireux de se « faire une situation » mettaient les bouchées doubles dans leur travail et l’intégration s’était faite silencieusement en se glissant dans la masse.
Avec le Concile Vatican II dans l’Église venant de se terminer, l’œcuménisme prenait un nouvel essor et dans un futur proche se profilait l’interreligieux avec la reconnaissance du même et vrai Dieu pour les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens. En matière de salut il ne s’agissait plus alors de tenter de convertir l’autre mais de fraterniser avec lui et de le reconnaître « sauvé » dans sa propre religion.
Voici un article trouvé dans le quotidien Ouest France du dimanche 31 juillet qui illustre l’été 1966 comme nous aurions aimé que celui de 2016 lui ressemble :
« Été 1966 : la croissance est contagieuse. La France a les deux pieds dans les Trente glorieuses. Les 50 millions de Français goûtent au plein-emploi. C’est l’époque où deux millions de salariés changent chaque année d’employeurs. Les Français travaillent plus que leurs voisins Allemands (2078 heures par an contre 1860 en Allemagne). Le nombre de provinciaux n’ayant jamais visité Paris (25% en 1962) fond comme neige au soleil. La proportion de bacheliers et d’étudiants progresse. Et l’on peut rejoindre l’île d’Oléron par un pont depuis le mois de mars.
C’est aussi l’époque où pour partir en vacances on quitte la ville où vivent désormais près de sept personnes sur dix. Ceux qui ne partent pas regardent la télé. Le petit écran est devenu une distraction.
Le 25 août est diffusé pour la première fois sur la première chaîne l’émission « Au théâtre ce soir » avec la pièce « Trois filles et un garçon ». Du théâtre chez soi quelle merveille !Avec les séjours linguistiques et l’auto-stop, les plus jeunes franchissent les frontières.
« L’Europe enrichie devient une Europe buissonnière », note l’historien Jean-François Sirinelli. La jeunesse s’émancipe et mai 68 pointe le bout de son nez.
Un élève de l’École centrale, Antoine Muraccioli, plus connu sous le seul prénom d’Antoine, envoie valser les yéyé de Johnny avec ses Élucubrations. Plus de 800.000 disques vendus en moins de trois semaines… » (article de Pierrick Baudais).
Suit la naissance du fils de Johnny et de Sylvie Vartan, David. L’article se termine par Oh Yé ! La joie de la vie à l’image de l’été !
Comme nous étions loin alors de la radicalisation de certains jeunes français issus de l’immigration !
Et pourtant ces immigrés Européens avaient eux aussi subi le rejet de l’étranger d’une partie de la population française mais ils gardaient un certain respect de leur accueil par le gouvernement et de leur naturalisation dans un pays qui n’était pas le leur. Eux aussi, aujourd’hui, ont l’impression que la France a perdu sa patrie, qu’elle a immigré dans un totalitarisme étranger qui tente de la détruire dans sa culture et dans ses fondements.
Laïcité, démocratie, État de droit, sont devenus pour la majorité des gens des mots vides de sens colportés par ceux qui n’ont que des parlottes à opposer à l’insécurité, à la violence et à la gangrène dans laquelle nous nous enfonçons.
L’été 2016 a prouvé que l’été des vacances pouvait devenir celui de l’horreur, ce qui ne s’était pas produit jusqu’ici.
Où sont passés le progrès, la croissance, tout simplement la civilisation ?
Aujourd’hui je cherche la civilisation comme une perle précieuse perdue dans un champ comme ce Royaume de Dieu devenu presque introuvable.
Quand le soleil d’un autre été se lèvera-t-il ?
Dans un monde qui court à sa perte je n’ai pas de réponse.
Christiane Guès