Vivons dans un dialogue confiant
Le 20 juin dernier, le président de l’Observatoire de la laïcité
a remis son rapport annuel au président de la République.
Voici le texte de l’intervention de Mgr Georges Pontier,
le 10 mai, devant les membres de cette instance
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie pour votre invitation et viens à nouveau devant vous pour un temps d’échange au sujet de la vie dans notre pays et spécialement de l’exercice du principe de la laïcité de l’État qui nous est chère.
L’année dernière, nous avions échangé sur les approches diverses qui existent dans notre pays en ce domaine et qui oscillent entre deux, celle de l’origine, qui veille à l’exercice de la laïcité de l’État qui permet et organise l’expression de la liberté de conscience des citoyens et la liberté d’exercice du culte, étant sauf le respect de l’ordre public. Et puis celle de la laïcisation de la société qui élargit sans cesse le domaine public au point de réduire l’expression des convictions personnelles, religieuses particulièrement, dans le seul espace de la vie privée.
Vous m’aviez ensuite demandé de m’exprimer sur l’analyse que l’Église faisait de la situation suite aux attentats de Paris qui venaient de se passer et d’exprimer éventuellement nos propositions.
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Je souhaite cette année attirer votre attention sur les deux points suivants : le regard porté sur le fait religieux et la nécessaire formation des agents de l’État et de la société civile au fait religieux.
1 - Le regard porté sur le fait religieux ou sur les faits religieux
J’aimerais inviter à un changement de regard qui consisterait à passer d’un regard inspiré par la peur des dérives possibles imputables aux religions à celui de mieux prendre en compte la richesse que les diverses fois ou les diverses religions apportent à la vie de notre pays.
Il ne s’agit pas d‘ignorer les risques de dérives fondamentalistes qui peuvent conduire à la radicalisation de certains individus et à l’usage de la violence. On comprend que l’État y porte une attention particulière. C’est de sa responsabilité. Aucune famille de pensée n’y échappe : religieuse, athée, philosophique, politique, associative. L’histoire est là pour nous le rappeler.
Mais réduire ces diverses familles aux dérives réelles de certains de leurs membres serait une erreur très dommageable pour la société. Je m’arrête plus particulièrement sur ce que les familles religieuses apportent à la vie de leurs fidèles et à la vie du pays.
Le premier apport touche ce que les religions apportent au pays par le fait de fournir un lieu de vie à leurs fidèles, lieu de soutien, de socialisation, de proximité, d’amitié. Cela se traduit souvent par des initiatives dans le domaine de l’enseignement, de la santé, de la vie de loisir, de l’éducation, du caritatif. Il y a là un vrai rôle au service de la paix sociale et du bien-être. On sait par exemple que les catholiques font partie du nombre des personnes engagées dans la société, dans le tissu associatif confessionnel ou non et de celles qui font preuve de générosité en soutenant nombre d’associations.
Le deuxième apport touche plus profondément aux valeurs, au sens de la vie, à l’ouverture à la vie intérieure, à la rencontre de Dieu, au développement des ressources spirituelles qui font partie de toute vie humaine. Certains appellent cela l’apprentissage de la grammaire de la vie qui permet de répondre aux questions fondamentales : Qui suis-je ? Pourquoi la vie ? Pourquoi vivre ? Pourquoi donner la vie ? Pourquoi la souffrance, la mort ? Comment regarder l’autre, le différent, le pauvre, l’étranger, le malade, le handicapé, l’enfant, le vieillard, les diverses cultures, le respect, l’engagement ? Quel rapport à l’argent, au profit, à la réussite, au pouvoir, au bien commun, au service des plus pauvres ?
Les religions portent et transmettent un certain réservoir de sens indispensable à la vie humaine. On peut penser qu’aujourd’hui un certain nombre de jeunes ou de moins jeunes n’ont rien sur quoi s’appuyer et sont très malléables à des influences nocives, destructrices et pourtant valorisantes à leurs yeux. Je pense que si la République peut et doit transmettre les valeurs contenues dans la devise de notre pays : Liberté, égalité, fraternité, il n’en demeure pas moins que beaucoup de Français sont croyants et trouvent dans leur foi religieuse un élan pour leur vie personnelle, leur vie familiale, leur vie sociale, leur vision de la vie en société et que cela est une richesse pour la vie de notre pays.
Le dialogue entre la société et les diverses familles de pensées, religieuses particulièrement, ne peut pas se dérouler principalement sous le mode de la méfiance ou du soupçon. C’est ainsi que nous ressentons parfois le concept de « neutralité » employé dans certains discours ou projets. Que signifie la « neutralité » quand d’autres messages sont tolérés : je pense à tout ce qui donne à voir la violence, un certain type de rapport au corps et à la sexualité, l’exclusion de certaines populations. La « neutralité » n’existe pas. On ne peut pas compartimenter l’être humain ni la vie sociale.
Ne serait-il pas plus positif de partir de tout ce que les organisations humaines apportent de positif dans la vie des personnes et donc en faveur de la vie en société ? Je ne suis pas en train de dire que cela n’existe pas dans notre pays, mais qu’il y a des courants de pensée qui ne regardent les religions que sous l’angle du risque.
Vouloir ignorer en particulier ce que la religion chrétienne a apporté à notre histoire, à la vie des pays européens et ce qu’elle y apporte encore, est une grave erreur qui ampute nos efforts conjoints pour donner un idéal de vie aux jeunes générations.
2/- J’aborde un second point : celui de la nécessaire formation des agents de l’État, des administrations, du monde de la société civile à la diversité du fait religieux et à la prise en compte de la dimension religieuse des personnes et des groupes humains. Former à la laïcité le nécessite. L’ignorance ne peut permettre le vivre ensemble et le respect. Sur le terrain, nous voyons des demandes qui naissent de la société civile, de l’entreprise, de la vie associative et parfois aussi des services de l’État. Il faut bien sûr vaincre la pensée que les croyants ne pourraient parler de leur religion que de façon prosélyte et ne pourraient avoir un discours ouvert, osons le mot, scientifique ou universitaire. Nos sociétés plurielles et diverses demandent un minimum d’empathie et de connaissance, surtout de la part de ceux qui en leur sein servent l’État ou travaillent avec des personnels divers, ou encore reçoivent des citoyens aux convictions diverses (hôpitaux, mairies, tourisme,…).
L’ignorance est le plus grand obstacle au vivre ensemble, à la juste appréciation des questions qui se posent, au développement de la peur de l’autre.
L’État s’en soucie, particulièrement par rapport aux aumôneries des hôpitaux, des prisons, de l’armée, de l’éducation, mais trop souvent encore pour vérifier que la pratique souhaitée de la laïcité sera respectée plus que pour vérifier que les citoyens le seront sans que l’ordre public n’en soit perturbé. Dans plusieurs lieux de France, nous avons proposé des formations dans ce domaine autour du thème société, religion, laïcité. Selon les lieux, ces formations sont accueillies ou non. Le monde de l’entreprise ou le monde associatif sont moins frileux et en sont satisfaits. Chrétiens, nous ne sommes pas les plus mal placés pour rendre compte de l’expérience de la laïcité dans notre pays que nous vivons de manière concrète et désormais heureuse depuis plus d’un siècle.
J’ose me permettre un mot sur la formation des imams qui demeure un des points les plus importants du vivre ensemble dans notre pays. Nous nous y engageons à notre niveau. Il y a une grosse responsabilité des fidèles musulmans, de leurs propres organisations et aussi de l’État, responsable de l’ordre public et des liens avec les divers pays d’origine de ces fidèles. C’est un des principaux défis des années à venir.
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J’en viens à la mention de quelques inquiétudes
3 – La Liberté de l’enseignement
Récemment, nous avons eu connaissance des modifications que les ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale veulent introduire dans les procédures régulant l’ouverture d’établissements scolaires privés d’enseignement hors Contrat. On voit bien l’intention : celle de mieux réduire le risque de voir naître des établissements scolaires incontrôlés et qui favoriseraient la radicalisation des esprits et des comportements ou un communautarisme inadapté. Là encore, on impose à tous ce qui ne vise que quelques-uns. Quoi qu’il en soit, le passage du régime de déclaration d’ouverture à celui d’autorisation d’ouverture nous semble ne pas respecter le principe de laïcité qui favorise l’exercice des libertés, celle de l’enseignement en particulier. On ne perçoit pas encore pleinement les contours de cette demande d’autorisation d’ouverture et il n’est pas évident d’en voir la nécessité, vu que les procédures actuelles permettent au Ministère concerné de s’opposer à la déclaration d’ouverture et de contrôler le fonctionnement de ces établissements. On peut se demander les motivations profondes d’un tel projet qui semble relever de l’effet d’annonce ou de celui de la symbolique plutôt que d’une nécessité pour le bien des libertés dans notre pays. Nous sommes inquiets devant ce qui peut apparaître comme un frein à l’exercice de la liberté d’enseignement, sujet sensible s’il en est. Fortifier les moyens de contrôle sans empêcher l’exercice des libertés légitimes devrait être la juste attitude. Nous espérons être entendus et contribuer à trouver un juste équilibre entre exercice des libertés et prudence nécessaire.
La Présence des aumôneries dans les hôpitaux, les prisons particulièrement
D’une manière générale, le travail des membres d’aumôneries dans les divers établissements est reconnu, accueilli et donne satisfaction. Une longue expérience a su trouver les bons équilibres. La confiance règne le plus souvent.
Une première question concerne les lieux de prière ou d’exercice des cultes. Beaucoup d’établissements possédaient une chapelle, rappel de leur origine confessionnelle. Les nécessités de développement ont souvent permis de trouver des solutions acceptables pour les remplacer par des lieux de culte mieux adaptés aux besoins actuels. La présence plus nombreuse de citoyens de confession musulmane dans notre pays, la demande d’aumôneries à leur service a posé la question des lieux de prière ou d’exercice du culte. Un certain nombre d’établissements ont résolu le problème en offrant un lieu de culte à chaque religion. D’autres laissent les responsables locaux trouver les bonnes solutions. D’autres enfin veulent favoriser des lieux de recueillement, d’intériorité, de silence et ouverts à tous. Cette perspective ne semble pas adéquate. Les religions ont des spécificités propres pour vivre leur prière ou leur culte, les symboles propres à chacune ne sont pas compatibles dans un même lieu. D’ailleurs on peut observer que lorsque cette initiative est imposée elle n’entraîne pas l’adhésion concrète des malades ni de leurs familles. Nous souhaitons que soit respectée la spécificité propre de chaque religion et que les choses se décident dans des concertations locales mieux adaptées pour trouver les bonnes solutions.
Une deuxième question concerne l’exigence d’obtenir un diplôme universitaire pour pouvoir être aumônier ou membre d’une équipe d’aumônerie. Cela pose plusieurs problèmes :
D’abord celui de l’intrusion de l’Etat dans l’organisation de la vie des cultes divers. La laïcité de l’État respecte le fonctionnement propre à chaque culte et ne s’immisce pas dans son organisation. Ce n’est pas à lui à désigner les membres des aumôneries.
Une deuxième difficulté vient du fait d’une non prise en compte des formations mises en place par notre Église à destination des aumôniers et membres des équipes d’aumôneries. Nous exerçons une vigilance réelle en ce domaine. Nous nous sentons responsables de ceux ou celles auxquels nous confions des missions. Nous les formons à la juste attitude dans un établissement public et à la spécificité de l’accompagnement des personnes malades et de leurs familles. Nous n’avons pas constaté de problèmes particuliers dans l’exercice actuel de ces fonctions. Pourquoi exiger l’obtention d’un diplôme universitaire qui peut décourager les nombreux bénévoles intervenant dans ces lieux et ne pas faire confiance en les prenant en compte à nos formations qui donnent satisfaction depuis des années ?
Je pense qu’en ce domaine on ne tient pas compte de la spécificité de chaque religion dans son accompagnement des personnes ni de l’histoire de notre pays. On a une conception étroite de l’égalité. Or en ce domaine, les approches et les besoins des religions sont divers et l’histoire de chacune dans notre pays l’est tout autant.
Il serait nécessaire de se parler avec confiance, de mieux connaître les diverses religions dans leur approche de l’accompagnement des malades, de préciser les exigences du respect d’un lieu public et de s’appuyer sur toute l’expérience vécue.
Conclusion
Depuis les attentats que notre pays a connus, je veux en conclusion vous dire notre étonnement d’avoir été à plusieurs reprises l’objet d’initiatives qui consistaient à nous demander de nous prononcer officiellement sur notre condamnation des violences, de ceux qui les commettent, sur notre pratique de la laïcité, finalement sur notre amour de notre pays ! Qui peut en douter en nous écoutant et en nous voyant vivre ! Nous y avons reconnu une de ces manifestations de ceux qui n’ont que des doutes face aux religions et qui n’ont que des soupçons à leur égard.
Vous comprendrez pourquoi j’ai voulu partager ces thèmes-là avec vous et vous redire notre loyauté à l’égard de notre société française. Regardons-nous avec confiance ; ne distillons pas des pensées de peur ni de stigmatisations. Additionnons nos richesses. Vivons dans un dialogue confiant.
Mgr Georges Pontier
Archevêque de Marseille
Président de la Conférence des Évêques de France
Note de G&S : les mots du titre de cet article, mis par G&S, sont les derniers du discours