« Que ma joie demeure ! »
Il y a peu, une cérémonie franco-allemande, s’est déroulée à l’Ossuaire de Douaumont pour le centenaire de la bataille de Verdun. Elle a mis en scène quatre mille adolescents allemands et français évoluant au milieu des tombes de la nécropole sur la musique de l’Hymne à la joie de Beethoven devenu l’hymne européen. Au moment où les médias ne cessent de nous entretenir des dysfonctionnements européens et, pour certains, prédisent même l’éclatement de l’Europe, cette manifestation nous rappelait comment la construction européenne nous a préservé de ces abominables et inutiles boucheries où ont été sacrifiées des centaines de milliers de jeunes européens. L'Ode à la Joie de Schiller, mise en musique par un Beethoven sourd, perclus d'épreuves et près de la mort n'est pas un message de facilité. Il rappelle celui de Mozart, malade, criblé de dettes, abandonné par la bonne société viennoise et qui, trois mois avant sa mort, trouve le succès dans un théâtre de banlieue en célébrant la lumière conquise de La Flûte Enchantée.
Toute vraie joie jaillit du passage de quelque chose qui meurt vers de nouvelles formes de vie. L’essentiel de nos existences se joue dans ces « passages » ces « Pâques » qui supposent l'abandon des anciennes certitudes. Il n'y a de joie que dans ces chemins de naissance et de création.
Dans sa pièce de théâtre, Le Père humilié, Paul Claudel met en scène un Pape qui, conscient de sa difficulté à trouver les mots justes pour communiquer aux hommes l’annonce du salut, s’adresse ainsi à son neveu, Orian : « Parle-leur, toi qui sais leur langage, qui n’es un étranger à aucun repli de leur nature. Fais-leur comprendre qu'ils n'ont d'autre devoir au monde que la joie ! La joie que Nous connaissons, la joie que Nous avons été chargé de leur donner, fais-leur comprendre que ce n'est pas un mot vague, un insipide lieu commun de sacristie, mais une horrible, une superbe, une absurde, une éblouissante, une poignante réalité, et que tout le reste n'est rien auprès. Quelque chose d'humble et de matériel et de poignant, comme le pain que l'on désire, comme le vin qu'ils trouvent si bon, comme l'eau qui fait mourir si on ne vous en donne, comme le feu qui brûle, comme la voix qui ressuscite les morts ! »1.
L’enfance éternelle de la Grâce est toujours plus jeune que toutes les vieilleries de nos fautes. Elle est la source de la joie de nos naissances et renaissances. Au terme de cette chronique, chers lecteurs, je ne puis que vous inviter à réécouter le choral final de la cantate de Jean-Sébastien Bach : « Jésus que ma joie demeure »2.
Bernard Ginisty
1 – Paul Claudel : Le père humilié, Acte II, scène 2, in Théâtre, tome II, La Pléiade, éditions Gallimard, 1965, page 536.
2 – Jean-Sébastien Bach : Cantate BWV 147 « Jésus que ma joie demeure ».