L’Évangile n’est pas une « bonne réponse »...
... mais une « bonne nouvelle »
Depuis vingt siècles, le message du Christ est transmis comme un Évangile, c’est-à-dire une bonne nouvelle. Les institutions ecclésiales qui ont assuré cette transmission ont trop souvent transformé ce qui était annoncé comme une bonne nouvelle en une bonne réponse à des catéchismes.
Où se situe la différence ?
La bonne réponse est le reflet d’une question. Elle ne prend sens que par rapport aux présupposés culturels et sociétaux que suppose la question. Une bonne nouvelle nous ouvre un tout autre champ. Elle est par définition inattendue, déstabilisante, peut-être même scandaleuse. Dans la 1e épître aux Corinthiens de Paul, la vie et la mort de Jésus sont présentées comme un scandale pour la loi juive et une folie pour la sagesse grecque1. Bien loin de rentrer dans des cases intellectuelles, religieuses ou morales fixées a priori, le Christ surprend et excède la dimension des questions. Il nous demande de rester veilleur de l’inattendu, de ne jamais enfermer quelqu’un, soi-même ou un autre, dans un jugement. À tout moment, notre bonne conscience comme d’ailleurs notre culpabilité peuvent être bousculées par la surprise d’une bonne nouvelle. Cette grâce nous évite de passer notre vie à tourner en rond dans l’espace étroit de nos théories, de nos morales, de nos systèmes de sécurité. En cela, le Christ incarne une rupture dans l’ordre du religieux.
Le Christ n’est en rien le théoricien d’une méthode spirituelle ou l’organisateur d’une structure religieuse. Sa trajectoire bouscule tous les états de vie et les relativise au nom de la conscience de sa filiation. Il meurt jeune et sa vie publique n’excède pas trois ans. Sa carrière est une Pâque, un passage. Ses disciples ne l’ont pas compris de son vivant, perdus qu’ils étaient dans l’attente d’un messie politico-religieux. « C’est votre intérêt que je parte car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous »2.
Loin de favoriser la fascination du Maître, le Christ lie le surgissement de l’Esprit en l’homme à sa propre disparition. Au lieu de regarder le nez pointé vers le ciel, comme les disciples le jour de l’Ascension, l’homme est renvoyé jusqu’aux extrémités de la terre3. Dès lors, l’amour agissant devient la nouvelle frontière. La tranquille possession de la loi par les clercs et de l’intériorité par les sages éclate. L’homme est désormais confronté aux excès de la grâce et du refus.
L’Évangile de Jean témoigne de ces scissions permanentes provoquées par les paroles de Jésus et de la course-poursuite des clercs et des chefs pour l’arrêter. Et lorsqu’enfin ils l’ont saisi, condamné, cloué, enterré, le « passage » de Pâques surgit dans la conscience des disciples et se répand dans une Pentecôte aux dimensions du monde. À l’heure décisive de sa mort, les évangélistes nous rapportent ses deux dernières paroles : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »4 suivi de « Père, je remets mon esprit entre tes mains »5. Aucun crépuscule des dieux ne sera aussi radical que la mort du supplicié condamné par les défenseurs des ordres établis politiques et religieux. Mais cet arrachement final au Dieu des religions et des nationalismes s’accomplit dans l’abandon confiant au Père source de toute naissance et renaissance. Ceux qui entendent aujourd’hui la jeunesse de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ sont invités à vivre de nouveaux « passages » qui seront de nouvelles naissances.
Bernard Ginisty
1 – 1e Épître aux Corinthiens 1,13-25
2 – Évangile de Jean 16,7
3 – Actes des Apôtres 1,7-11
4 – Évangile de Marc 15,34
5 – Évangile de Luc 23,46