« Dieu est toujours une surprise »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Les images de Dieu qui se sont succédé dans l’histoire portent la trace des valeurs privilégiées par les hommes. « Dieu » est conçu comme celui qui porte à l’absolu ces valeurs et leur hiérarchie. La Puissance et la Gloire, dont les hommes sont si friands, sont devenus trop souvent les attributs essentiels de Dieu justifiant les violences contre tous ceux qui ne se soumettent pas à cette Puissance et à cette Gloire, c’est-à-dire, plus prosaïquement, à ceux qui s’en sont érigés les gestionnaires et les porte-parole.

Commentant le passage de l’Évangile de Jean qui relate l’arrestation et la condamnation de Jésus, le poète et traducteur de la Bible Jean Grosjean écrit ceci : « Jean va faire une double démonstration : Caïphe, bien que prophète, sauvegarde le culte par l’assassinat, Pilate, bien que juste, maintient l’ordre par le meurtre. Jésus respecte l’enseignement religieux (ils sont dans la chaire de Moïse) et les décisions impériales (le pouvoir vient d’en haut), mais il sait que spirituelles ou politiques les institutions tuent. Ce soir, à la lueur de leurs torches, il voit s’avancer les légionnaires de l’armée d’occupation, les mercenaires pontificaux et les militants de la croyance »1.

Dans son ouvrage intitulé L’humilité de Dieu, François Varillon souligne que l’Évangile est porteur d’une tout autre image de Dieu. « Jésus de Nazareth, qui pose les conditions d'un règne de l'amour, enseigne que c'est dans la mesure où l'on est nuisible à autrui qu'on est nuisible à soi. Dès lors il dérange tout le jeu. C'est un gêneur, on le tue. (…) L'Incarnation, si elle avait été éclatante et glorieuse aux yeux des hommes, n'aurait pas révélé l'Innocent. Le monde n'aurait pas manqué d'intégrer Dieu à son ordre de nuisance. Il travaille d'ailleurs sans relâche à ce que les Églises oublient de Qui elles sont le sacrement, et bien souvent il y réussit. D’où l’actuelle méfiance à leur endroit. Emmanuel Levinas a bien vu que l’idée d’une vérité persécutée est l’unique modalité possible de la transcendance »2.

La tradition chrétienne nous dit : Dieu est un enfant dans une crèche, Dieu est présent dans le pain partagé, dans l’homme le plus exclu. C'est dire à quel point Dieu se défroque des oripeaux de puissance et de gloire. Quelle aberration de vouloir l’enfermer dans une carapace dogmatique, dans des jugements moraux ou des triomphes institutionnels ! Quelques mois après son élection, le Pape François exprimait ainsi sa conception de Dieu : « Dieu, écrit-il, se rencontre dans l’aujourd’hui. (…) Bien sûr, dans ce chercher et trouver Dieu en toutes choses il reste toujours une zone d’incertitude. Elle doit exister. Si quelqu’un dit qu'il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n’y a aucune marge d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé importante. Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit. (…) Notre vie ne nous est pas donnée comme un livret d’opéra où tout est écrit ; elle consiste à marcher, cheminer, agir, chercher, voir. (…) Dieu se rencontre sur la route, en marchant. (…) Dieu est toujours une surprise. On ne sait jamais où ni comment on Le trouve, on ne peut pas fixer les temps ou les lieux où on Le rencontrera »3.

Bernard Ginisty

1 – Jean Grosjean L’ironie christique. Commentaire de l’Evangile de Jean Editions Gallimard Paris 1991, page 232.
2 – François Varillon (1905-1978) L'humilité de Dieu Éditions du Centurion, 1974, pages 99-100. Ce jésuite théologien a été un des « maîtres spirituels » du XXe siècle. Il développe ainsi cette « humilité de Dieu » : « Voici que, sur le Calvaire, Dieu n’intervient pas, il se cache et il se tait. Ce n’est pas le Dieu Sabaoth, c’est-à-dire le Dieu des armées, c’est le Dieu désarmé : le jeu de mots est classique. (…) Tant qu’on n’a pas compris que la toute puissance de Dieu est une toute puissance d’effacement de soi, tant qu’on n’a pas expérimenté dans sa propre vie qu’il faut plus de puissance d’amour pour s’effacer que pour s’exhiber, toute ce que je viens de dire est littéralement inintelligible » (In Joie de Croire, Joie de vivre, éditions du Centurion, 1982, pages 76-77).
3 – Pape François : entretien accordé aux revues intellectuelles jésuites européennes et américaines publié dans le journal La Croix du 20 septembre 2013, pages 2 à 5.

Publié dans Réflexions en chemin

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L
" ... dans ce chercher et trouver Dieu en toutes choses il reste toujours une zone d’incertitude. Elle doit exister". Merci, une fois encore, à Bernard Ginisty. Merci de replacer ainsi D.ieu au centre d'un espace de liberté : exactement celui qui échappe à l'enseignement des institutions. Celui où "il se cache et il se tait" ; celui qu'il laisse ouvert sur cet insaisissable dont notre approche tâtonnante est aussi une prière. Et peut-être la prière de la plus grande intimité avec Lui.
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B
On se permettra de rappeler que le terme "Gloire", en langage biblique (kâvôd), signifie d'abord le "poids" : ce qui a du poids, de la consistance, de l'être ... avant que d'être associé à la puissance, au pouvoir ; à moins que d'être : puissance de, pouvoir de ... au sens aristotélicien puissance/acte, capacité de. <br /> Ce qu'on retrouve chez Irénée "La Gloire de Dieu, c'est l'Homme debout (vivant), la vie de l'homme c'est la vue de Dieu" , ou encore le "poids" formulé par Augustin : "Amor meus, pondus meus". Gardons-nous en effet de toutes ces projections anthropomorphiques sur le divin qui seraient aliénations de l'homme dénoncées, à juste titre, par Feuerbach, Marx, Nietzsche et alii ...
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P
Je voudrais juste profiter du commentaire fait par Bernard GINISTY dans sa 2éme note à propos du Père François VARILLON, pour rappeler les noms d'autres maîtres spirituels et théologiens jésuites contemporains et, pour certains, amis de ce dernier :<br /> - les plus connus comme Henri de LUBAC (1896-1991) dont il était proche et pilier de Vatican II, d'autres moins connus qui ont contribué à la lutte spirituelle contre le nazisme : Pierre CHAILLET (1900-1972), Gaston FESSARD (1897-1978), Yves de MONTCHEUIL (1900-1944), Pierre GANNE (1904-1979) ami de François VARILLON lui aussi.<br /> - Il faut citer d'autres noms restés dans l'ombre, ceux des professeurs à la faculté de théologie de Fourvière interdits d'enseignement en 1950, assignés à résidence et soumis à la censure de Rome en même temps qu'Henri de LUBAC : les Pères Émile DELAYE, Henri BOUILLARD, Alexandre DURAND et Pierre GANNE.<br /> <br /> François VARILLON disait de Pierre GANNE : « lui va à l'essentiel », bel hommage ! Le pape François, même s'il ne les cite pas (sud-américain, il ne connaît pas tout le contexte français de ces années-là), est pour moi un héritier de ces jésuites semeurs d'espérance.
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