Au défi de l’islam
Contre-société musulmane
L’idéologie prépondérante expose informateurs et commentateurs à se tromper sur la manière dont les religions sont présentes dans la vie sociale. On les considère soit comme des ethnies, soit comme des mouvements d’opinion à préoccupation éthique. Quand on conclut de la présence de musulmans parmi leurs victimes que le motif des terroristes n’est pas religieux, on applique une grille d’analyse inspirée par un universalisme naïf selon lequel toute la violence sociale revient à la « haine de l’autre ». On devrait pourtant savoir que les religions s’en prennent souvent à des ennemis intimes, que la Sainte Inquisition par exemple n’a pas poursuivi les juifs et les musulmans, que l’on expulsait plutôt, mais les mauvais chrétiens, comme Jeanne d’Arc qu’elle fit brûler. On se trompe tout autant quand on les identifie à partir de leur enseignement moral. À cet égard toutes les religions, monothéistes du moins, sont impeccables ; elles reprennent la « règle d’or » : ne fais aux autres ce que tu ne voudrais pas subir, respecte la vie humaine. Malheureusement, pas plus que les idéologies laïques, les religions ne font ce qu’elles disent. Leur action est d’une autre nature que leur message moral. Elles structurent des personnalités en les faisant entrer et habiter dans l’anthropologie fondamentale qui correspond à leurs textes et à leurs rites. Surtout, elles conditionnent et rassurent leurs fidèles en leur imposant, plus ou moins strictement, un mode de vie. Sur l’anthropologie, quant à la dynamique qu’elles inaugurent, les religions diffèrent profondément. Dans l’islam par exemple, la dignité humaine n’a pas le même fondement et le même contenu que dans le christianisme puisque le lien avec Dieu n’est pas de partenariat mais de soumission1. Les différences sont encore plus flagrantes en ce qui concerne les disciplines de vie. Le christianisme, même catholique, a cessé ces dernières décennies d’être un mode de vie. C’est le salut par le Christ, donc les « fins dernières de l’homme » comme dit le catéchisme, qui est son ancrage. Les « piliers de l’islam » sont plus simples ou plus pratiques. À l’opposé du christianisme, l’islam, on le voit désormais en Europe, s’identifie par des manières de s’habiller ou de se nourrir, de scander la journée, qu’il impose dans l’espace public, en étendant ses interdits d’une manière que des reportages à Saint Denis ou à Molenbeek ont décrite récemment. Michèle Tribalat a montré l’efficacité de cette occupation du temps et de l’espace ces dernières décennies : raréfaction des mariages mixtes, transmission religieuse de plus en plus assurée dans les familles. En France, le taux de transmission de l’appartenance religieuse était pour les musulmans de 86% dans les années 80, contre 43% 25 ans auparavant. Chez les catholiques l’évolution a été inverse, passant de 68% à 60%2.
Une religion identifiée par un mode de vie a des implications politiques directes parce qu’elle rend homogène le groupe des croyants, qu’elle met à part ses fidèles. L’islam impérial a pu neutraliser cette propension. Quand il dominait, il a su gérer la diversité et proposer une sagesse pratique3. Au contraire un islam déraciné et sur la défensive pratique chez nous ce que l’on a pu appeler (Paul Yonnet) une « auto-ségrégation ». Il est sans doute vain dans le cas d’un islam engagé dans une surenchère aux pratiques discriminantes, comme le salafisme, de se demander où est la frontière entre le politique et le religieux. Quiétisme ou activisme, ces deux attitudes sont sans doute incompatibles à un moment donné, mais parce qu’elles mettent en œuvre la même passion de se séparer, on peut passer de l’une à l’autre. Dans l’islam, l’autonomie du politique a du mal à s’enraciner parce que les domaines religieux et politique sont peu distingués. On voit des hommes pieux passer à l’acte, on voit aussi des politisés incroyants (au départ) prendre feu pour l’islam. On a vu surtout des régimes nés laïques comme celui de la Turquie moderne ou celui du baath irakien, s’islamiser sans qu’un seuil soit repérable, comme si le religieux et le politique c’était la même chose autrement. Une structure mentale semble d’ailleurs chez beaucoup, coiffer le politique et le religieux : l’opposition à la modernité, « l’islam contre tout le reste »4. Et si l’attachement aux signes et aux interdits qui « font la différence » paraît souvent plus systématique dans nos banlieues que dans les pays d’émigration5, c’est évidemment que le défi à relever est plus direct à Paris qu’au pays.
Nous assistons donc à la constitution chez nous d’éléments d’une contre société musulmane dont on se demande où elle va, à quelles séductions elle peut succomber. Ceci met en échec le modèle français d’intégration qui reposait sur la pratique de la citoyenneté.
Intégration ?
Cette situation, peut-on croire, fait augurer un avenir dramatique voire apocalyptique. Les « padamalgame ! » ressassés n’empêchent pas qu’on ressente comme une menace le séparatisme quotidien de nombreux musulmans. On a tendance à penser : ils font société à part, ils se réclament d’une culture allergique à la démocratie, pas étonnant que leur ressentiment se condense à l’occasion en folie meurtrière. Aller ainsi directement du banal au pire, c’est oublier les responsabilités de la société française dans l’isolement des musulmans et aussi le seuil décisif de la crise d’adolescence, dans les biographies de djihadistes. Mais, que ce schéma reste prégnant dans les mentalités, il y a à cela de bonnes raisons. Si Daech ne recrute qu’une très faible minorité des musulmans, ses adeptes se sont tous voués à la cause de l’islam ou à l’idée qu’ils en ont. Olivier Roy réfère le djihadisme au nihilisme d’une partie de la jeunesse occidentale, toutes origines confondues. Mais ce nihilisme a un lien particulier avec l’islam. En effet, le comportement « islam contre tout le reste »touche au nihilisme par le centrement sur soi et le mépris du reste. A cause de cette connexion, l’amalgame subsistera dans les mentalités si l’on n’admet pas qu’il y a deux questions, à ne pas confondre et à ne pas isoler, celle du terrorisme et celle de l’islam. L’opinion ramènera tout au terrorisme si on ne se donne pas les moyens de poser et de traiter aussi la question de l’islam dans la république.
La première difficulté que nous rencontrons quand nous essayons de penser et de construire le lien entre les musulmans de France et leurs concitoyens c’est celle du sens donné aux mots essentiels. À l’usage, les mots de la devise républicaine, aussi bien que le mot de laïcité, se révèlent de faux amis. On invoque l’égalité et la fraternité mais d’un côté, c’est pour dire que les musulmans n’en ont pas leur part en France, de l’autre qu’ils ne les mettent pas en pratique chez eux, donc qu’ils ne remplissent pas les conditions pour entrer dans la communauté civique qui s’est donné de tels principes. Ces incompréhensions tiennent à ce que, dans le cadre d’une communauté civique affaiblie où les droits de l’individus sont le dernier repère, égalité et fraternité au lieu ‘être des principes d‘action, des tâches communes, des devoirs, sont des créances sur l’État. Cette perversion nous engage dans une logique de séparation, chaque groupe s’identifiant à ce qui lui manque alors qu’il estime y avoir droit.
De même la tolérance, le devoir de n’être pas choqué par les actes et les opinions d’autrui : elle encourage séparations et divisions lorsque, par opportunisme, les politiques en prennent prétexte pour accepter n’importe quelles pratiques, sans égard au socle commun de valeurs et de mœurs, à ce qu’en termes juridiques on nomme « l’ordre public immatériel »6.
Que nos principes ne nous unissent plus, les malentendus querelleurs autour de la laïcité le montrent : implique-t-elle un refoulement strict des religions dans le privé ou bien demande-t-elle qu’on sanctuarise pour chacune le territoire qu’elle revendique. Une société de droits rivaux ne peut pas former un ensemble intégré.
On a des chances de comprendre le malaise et même le malheur d’être déchiré par de tels malentendus si l’on se rappelle qu’il y a peu, jusqu’aux années 1980 montre Michèle Tribalat, une partie des immigrés musulmans se sont rapprochés des autres Français en se « sécularisant », sécularisation signifiant qu’ils ont valorisé et investi personnellement un domaine pour eux nouveau, la politique (dont l’État de bien être institué était une concrétisation), ce qui les mettait à distance de l’englobant qu’était leur religion infuse dans toute la vie. Après d’autres arrivants, comme les Ashkénaz par exemple, certains musulmans ont trouvé suffisamment significatif le débat public en France pour s’y impliquer et en être transformés. Leur intégration s’est faite grâce à la politique qui pouvait alors brasser et mêler des matériaux divers dans son courant, ce qu’elle ne fait plus quand elle stagne comme actuellement. Malgré cela, des optimistes voient l’intégration se poursuivre par le simple effet du vivre ensemble. Ils en donnent comme preuve, la fréquence des patronymes arabes chez les médecins, avocats, commerçants… Cette thèse, celle en particulier d’Olivier Roy7 revient à soutenir que les musulmans sont en fait plus intégrés qu’on ne le croit et qu’ils ne voudraient l’être. Elle oublie peut-être la tendance récente au séparatisme, soulignée par Michèle Tribalat, surtout elle ne correspond pas au modèle français classique d’intégration (de Gambetta et Zola jusqu’à Sarkozy et Valls) par la politique, donc par la volonté de participer à une histoire en cours.
L’année 2015 nous a permis de comparer, sur le cas justement de l’islam de France, l’intégration sociale et coutumière et l’intégration civique. Le défaut d’intégration civique a été illustré par l’absence des musulmans à la manifestation du 11 janvier, alors que l’existence d’une intégration à la société et à l’espace national explique leur indignation après les attentats du 13 novembre. La République a été invoquée en novembre comme désignant un espace commun menacé par des attentats aveugles alors qu’en janvier l’enjeu, plus exigeant, était la défense d’un régime de liberté, et de débat où l’islam n’était pas nécessairement épargné.
Si c’est la dynamique politique qui nous fait défaut, on ne peut pas incriminer les seuls musulmans. Son épuisement est plutôt révélateur de notre asthénie politique. Cette asthénie on peut la caractériser par une incapacité de traduire nos problèmes en tâches communes, avec son corollaire qu’est la séparation des élites et de la masse. Cette asthénie affecte tout le champ politique, mais c’est à propos de la présence musulmane qu’elle apparaît le plus clairement. Si en effet on excepte des marges qui avouent leur inquiétude sans s’y résigner, deux courants principaux se partagent l’opinion qui tout en s’opposant, concluent l’un et l’autre à une certaine forme de passivité. Au Front National on tempête et on désespère, on rêve de se débarrasser du mauvais objet. Du côté d’un libéralisme facile, on pense (on pensait jusqu’au 12 novembre ?) qu’il n’y a pas vraiment de problème, sinon dans la mentalité des Français. En somme l’idéalisme regarde au plafond, le « réalisme » ne fait que du bruit, chacun incrimine l’autre camp.
Un avenir à inventer
La situation française peut apparaître désespérante, voire désespérée. Ressenti comme une menace externe, l’isolationnisme musulman est plutôt un effet et un symptôme de la crise générale d’un pays à un point bas de son histoire : impuissant depuis 10 ans devant le chômage, sous tutelle européenne, incapable de maîtriser ses dépenses publiques, désinvesti par ses élites, en crise de représentation. Tout cela qui contribue à notre fameuse déprime et peut être désigné comme une situation historique de désœuvrement. La France a naguère montré la voie (en 1900, sur notre continent, en fait de républiques, il n’y avait que la Suisse et la France). Jusqu’à la fin du XXe siècle, elle a participé aux entreprises et affronté les défis de l’époque (décolonisation, guerre froide, mise en place de l’État de bien être, réorganisation de l’Europe). Depuis, elle ne se voit plus de mission, ni même d’orientation claire. On ne lui adresse pas d’autre message que la consigne de s’adapter.
Mais il se peut que, comme à d’autres moments de notre histoire, des difficultés jugées insurmontables soient l’occasion et la voie d’une invention. Moderniser une monarchie ancienne ancrée dans l’absolutisme pouvait paraître en 1780 aussi nécessaire qu’impossible, de même qu’en 1870, sortir de l’oscillation entre instaurations républicaines utopiques et restaurations autoritaires de l’ordre. Maintenant, pouvons-nous discerner un avenir à travers nos problèmes, particulièrement celui de l’islam ? La présence de musulmans parmi nous est durable, elle ne peut que devenir plus nombreuse, à cause de la proximité d’un Maghreb instable, à cause de la démographie de l’Afrique sub-saharienne. Nous ne sommes pas en Europe les seuls à compter des millions de musulmans sur notre territoire, mais nous sommes au premier plan à cet égard. Nous avons des responsabilités historiques particulières. Nous ne savons quel tour prendra la crise générale de l’islam, mais nous savons que, la zone de contact islamo-européenne traverse notre pays, et que nous avons là un rôle à jouer.
L’enjeu est l’affirmation, ou non, d’un islam français et plus largement européen. Le point décisif est la consistance et la légitimité des appartenances politiques nationales, sur quoi s’opposent le système européen (chrétien ou postchrétien) et le monde musulman. Pour les musulmans de France, le seuil à franchir est la rupture avec l’umma. Pierre Manent l’a très bien vu8. 0n lui a reproché de demander l’impossible, le comportement de beaucoup de musulmans de France montrant leur indifférence au national et leur attachement à la grande communauté islamique. Mais il se peut que l’indignation de la grande majorité des musulmans d’ici, qu’ont exprimée leurs représentants, annonce un tournant, la conscience nouvelle que leur sort est celui du pays où ils sont, alors que ceux qui se recommandent de l’umma les menacent. Comme la ruée des Syriens vers l’Allemagne, la réaction à la fois réaliste et horrifiée des musulmans de France participe peut-être d’un basculement vers l’Europe de populations dont la communauté musulmane était le seul horizon. On peut espérer que ce soit le point de départ d’une véritable adhésion à la France, que s’affirme ce qui manquait le plus dans la période précédente, la dimension volontaire de l’intégration. Les musulmans d’ici deviendront-ils pour nous non seulement un souci majeur mais les partenaires d’une invention historique ?
Pour que cela se réalise, il faut que le corps politique national sache engager avec l’islam un débat de fond sur l’éthique commune. Donc, le modèle d’intégration individuelle se révélant insuffisant, que la communauté musulmane en tant que telle soit présente au débat républicain. Cela suppose que l’islam ne soit pas être chez nous l’invisible ou ce que l’on ne voudrait pas voir, que sous réserve de contrôle, ses manifestations et ses comportements soient admis. La monogamie, l échange des regards et des visages dans les lieux publics, le droit de se marier librement, celui de quitter l’islam ne sont évidemment pas « négociables ». Pour être admises sur notre forum, les autorités musulmanes doivent l’admettre et désapprouver les surenchères séparatistes que la loi sur les signes religieux tente de réduire. À ces conditions, l’islam peut, comme les confessions chrétiennes, participer à notre débat civique, contribuer par des ONG à l’action sociale et éducative, et aussi s’exprimer sur ce qui concerne le « sociétal ». Du côté de la République, comme du côté de l’islam, il s’agit en somme de prendre l’autre au sérieux, de plus considérer ni l’islam comme un détail, ni la résidence en France comme une contingence sans valeur, encore moins l’Etat comme un simple débiteur de services. La question devient donc : l’énergie pour s’affirmer dont font preuve les musulmans de France peut-elle être réorientée et devenir une contribution au civisme national ?
Le système politique français est-il à la hauteur de ces enjeux ? Il est loin de l’être. Rien n’est moins français actuellement que le « Nous y arriverons ! » d’Angela Merkel. Au contraire nous déclinons notre prétendue impuissance sous deux formes : l’impuissance cynique et l’impuissance idéaliste. La rhétorique du « barrage au F.N. » est trompeuse. On lui reproche à raison de ne pas avoir de politique, mais s’opposer à une non-politique ne suffit pas à fonder une politique, à combler le vide d’idées des partis de gouvernement. La seule fois que le F.N. a été mis en échec c’était à la présidentielle de 2007, quand Sarkozy -brocardant celui qu’il allait remplacer comme un « roi fainéant » - a fait croire aux Français qu’ils allaient être gouvernés, ce qui n’a pas été le cas. Aujourd’hui, le défi de l’islam (si nous ne le réduisons pas à la question de la sécurité) et la réaction de nos compatriotes musulmans en novembre, nous offrent, sur un point crucial, l’occasion de dépasser nos craintes et nos regrets en redéployant nos capacités.
Ce chantier est un chantier global, il doit être attaqué à plusieurs niveaux. Au niveau religieux, il s’agit de reformuler la laïcité ; au niveau politique, il s’agit de faire peuple en surmontant la sécession des élites ; au niveau moral, il s’agit de penser l’avenir non selon des contraintes et des idéologies, deux formes du « tout fait » comme disait Péguy, mais au vu de tâches à entreprendre et à poursuivre, selon l’espérance.
La laïcité ne doit pas être une laïcité de séparation et d’ignorance, celle-ci est inefficace dans les « quartiers » parce qu’elle porte à ne pas prendre la religion au sérieux donc, dans la pratique, à ignorer le sens des accommodements qu’on accepte. Du côté des musulmans, entrer dans la laïcité c’est bien plus que de renoncer aux surenchères séparatistes. La transplantation en Europe oblige à considérer la nation d’installation comme ayant une substance morale opposable à l’idée de l’islam qu’apportent les arrivants ou qu’ils se forment ici. Cela implique une rupture avec le holisme musulman, avec la représentation de l’islam comme un mode de vie complet, ce qui revient aussi à admettre que l’islam a connu et peut connaître des variations, qu’il a une histoire9 dont il doit rendre compte, comme Jean-Paul II l’a fait pour le catholicisme en 2.000, au lieu d’en rester aux évocations apologétiques (l’Andalousie !). De l’autre côté, une laïcité de délibération doit rompre avec un dogmatisme individualiste (au gouvernement, celui de Christiane Taubira et de Marie-Sol Touraine) pour qui la société est pure immanence, pur exercice des droits actuels, qu’elle n’a besoin ni d’idée d’avenir ni d’institution, idéologie qui fait imaginer par exemple une école sans autre repère que l’égalité et le confort des élèves. L’idée devrait pouvoir être exprimée et débattue, par exemple, que la reproduction humaine ne saurait dépendre d’une seule volonté ou que personne n’a le droit de décréter l’indignité d’une autre vie que la sienne... Le réflexe de proscrire certains sujets de débat ne rend pas une démocratie intégrante…
L’intégration des diverses composantes suppose que le peuple qui les reçoit ait une consistance. On ne peut pas faire peuple quand, comme en France, les élites tiennent la majorité pour indigne et incapable, quand on demande de la générosité à ceux qu’on méprise, quand on espère obtenir de gens auxquels on ne donne rien à admirer chez ceux qu’ils doivent rejoindre, les sacrifices que suppose l’intégration. Et puis, comment prêcher l’ouverture et l’accueil à un pays qu’ une partie de plus en plus grande de la nouvelle génération10 quitte faute de s’y voir un avenir ?
Moralement nous sommes entravés par des idéologies, c’est-à-dire des conceptions fixistes, prédéfinies de l’avenir. Ainsi l’idéologie islamiste existant à la marge chez ceux qui n’ont rien d’autre à leur portée et surtout l’idéologie des droits individuels qui, à sa manière, évoque un indépassable, donc participe de « l’ineptie de vouloir conclure » comme disait Flaubert. Les uns et les autres, les fanatiques et ceux qui n’attendent rien, veulent se tenir dans un universel direct, effectif, contrôlé, arrêté. Ce lieu utopique est aussi celui des querelles sans issue. Nous avons besoin au contraire d’un universalisme d’espérance, vers quoi s’orientent diverses entreprises historiques. Parmi celles-ci l’une est à la portée des Français, devant eux, s’ils savent s’en rendre capables.
Paul Thibaud
Source : Causeur (avec nos remerciements)
1 – Voir le chapitre 6 du dernier livre d’Alain Besançon, Problèmes religieux contemporains, de Fallois 2015.
2 – Assimilation, la fin du modèle français, Ed du Toucan, 2013, p.161.
3 – Cf Adrien Candiart, « Comprendre l’islam, ou plutôt pourquoi on n’y comprend rien », Urbi et Orbi, sur le site de La Croix, 25/11/2015.
4 – Formule d’un islamiste anglais repenti dont Michèle Tribalat présente l’autobiographie en épilogue du livre précité.
5 – Voir à ce sujet dans Marianne , le témoignage de l’universitaire algérien Fawzi Benhabib habitant Saint Denis.
6 – Expression, de Guy Carcassonne citée par Constantin Languille dans La possibilité du cosmopolitisme, Gallimard 2014.
7 – Voir par exemple, La peur de l’islam ; Editions de l’aube, 2015.
8 – Dans Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015.
9 – Spontanément, l’islam se voit anhistorique, début et fin de la révélation. Dans Relire le Coran, Albin Michel, 2012, Jacques Berque remarque que le mot « temps » ne figure dans le texte.
10 – Dans Le Monde (14/10/2015), Julia Pascual reprend des chiffres de l’INSEE : en 2013, 193.000 « nés en France », dont 80% de 18-25 ans, ont quitté le territoire alors que 78.000 sont revenus : solde négatif, 120.000.