Ouvrir de nouvelles voies au "vivre ensemble"
Le débat actuel sur la réforme du Code du Travail ne saurait se réduire à des négociations pour arracher telle ou telle « avancée » aux yeux des partenaires sociaux. Il s’agit ni plus ni moins que de repenser les modalités de notre vivre ensemble bousculé de plus en plus par la mondialisation et les nouvelles technologies.
Cette situation oblige à ce qu’on pourrait appeler une « guerre de mouvement » face à laquelle certains pensent que l’essentiel serait d’étoffer la « ligne Maginot » d’un imposant code du travail protecteur des salariés tandis que d’autres posent la rémunération de l’actionnaire comme la clé du problème.
On ne peut éviter de s’interroger pour savoir pourquoi, avec un code du travail aussi dense et une rémunération de l’actionnaire qui n’a cessé de croître, la France continue à avoir un taux de chômage nettement supérieur aux pays comparables de la zone euro.
Edgard Morin analyse ainsi cette situation : « Il y a eu une usure totale de la pensée politique. À gauche, notamment. À droite, il n’y avait pas réellement de besoin. Il leur suffisait d’administrer les choses telles qu’elles sont. Mais, pour tous ceux qui se proposaient d’améliorer ne serait-ce qu’un peu le monde, il y avait besoin d’une pensée. Tout cela s’est vidé. Et non seulement cela s’est vidé, mais ce vide s’est rempli avec de l’économie, qui n’est pas n’importe laquelle. C’est une doctrine néolibérale qui s’est prétendue science au moment où les perroquets répétaient que les idéologies étaient mortes parce que le communisme était mort ! Cette nouvelle idéologie portait l’idée que le marché est solution et salut pour tous problèmes humains. Et ces politiques y ont cru. Jusqu’à aujourd’hui où ils rêvent de la croissance... Ils n’ont même pas l’intelligence d’imaginer ce qui peut croître et ce qui peut décroître en essayant ensuite de combiner les deux »1.
La réponse à la crise que traversent nos sociétés ne consiste pas d’abord à trouver de nouvelles réponses aux mêmes questions, mais d’abord à interroger les questions qui structurent le débat public et les « valeurs » au nom desquelles on prétend lire et modifier la vie des gens. Hugues Puel, directeur pendant plus de 10 ans de la revue Économie et Humanisme constate : « la question de la valeur des choses est devenue obsolète sous toute autre forme que leur valeur monétaire telle qu’elle se présente sur le marché »2. Par ailleurs, la conjugaison d’une pensée posant en principe l’antagonisme entre entrepreneurs et salariés avec une logique jacobine prétendant régler au niveau national toutes les questions afférentes à l’activité humaine conduit à des blocages.
La financiarisation de toute activité humaine réduisant les salariés à n’être que des « variables d’ajustement » à ses enjeux, la pensée binaire ignorant la complexité et la centralisation faisant l’impasse sur la capacité de chaque citoyen d’être acteur sur le terrain dans sa vie sociale et professionnelle sont les trois obstacles majeurs à l’ouverture de nouvelles voies du vivre ensemble.
Bernard Ginisty
1 – Edgar Morin Notre futur in Terra eco net n°60 (septembre 2014)
2 – Hugues Puel : Responsabiliser la finance in revue Lumière et Vie, avril-juin 2010