L'Homme et la Femme dans les sources judéo-chrétiennes
L'Église catholique propose souvent aux jeunes mariés le texte suivant tiré de l'Évangile selon Marc (chapitre 10) : Quelques Pharisiens s'approchèrent de lui pour lui tendre un piège. Ils lui demandèrent : « Notre loi permet-elle à un homme de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit par cette question : « Quel commandement Moïse vous a-t-il donné ? » Ils dirent : « Moïse a permis à un homme d'écrire une attestation de divorce et de renvoyer sa femme. » Alors Jésus leur dit : Moïse a écrit ce commandement pour vous parce que vous avez le cœur dur. Au commencement, quand Dieu a tout créé, il les fit mâle et femelle. C'est pourquoi, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni.
Il est difficile de prendre, aujourd'hui, avec toutes les évolutions de notre société, ce dialogue à la lettre, sans oublier qu'à l'origine, il y a un piège. Je suis allé chercher ce qui était écrit, dans la Bible, au commencement (ne connaissant pas l'hébreu, je me sers de la traduction, très littérale, d'André Chouraqui).
À vrai dire, dans la Genèse, il y a trois récits de la Création de l'être humain :
Ch.1 : …26-27, Élohims dit :"Nous ferons Adâm (le Glébeux) à notre réplique, selon notre ressemblance. Élohims crée le glébeux à sa réplique, à sa réplique il le crée, mâle et femelle il le crée…
Ch.2 : …18-24, YHWH dit : "il n'est pas bien pour le glébeux d'être seul ! Je ferai pour lui une aide face à lui". 19, YHWH forme de la glèbe tout animal des champs, tout volatile des ciels, il les fait venir au glébeux pour voir ce qu'il leur criera…20, … mais au glébeux, il n'avait pas trouvé d'aide face à lui. 21, YHWH fait tomber une torpeur sur le glébeux… il prend un de ses cotés et ferme la chair dessus. 22, Il bâtit le coté qu'il avait pris, en femme… 23, Le glébeux dit : "celle-ci, cette fois c'est l'os de mes os, la chair de ma chair, à celle-ci sera criée femme (isha) car de l'homme (ish) elle fut prise 24, Sur quoi l'homme abandonne son père et sa mère, il colle à sa femme et ils sont une seule chair…
Ch 5,1, Au jour où Élohims créa le glébeux, à la ressemblance d'Élohims il les fait mâle et femelle, il les crée et les bénit.
Notre tradition machiste, patriarcale, plurimillénaire, n'a pas toujours bien saisi la subtilité, l'intelligence des rédacteurs de la Genèse qui ont mis par écrit ce texte, vers le 6e siècle BC. La première création (dite de tradition élohiste), au ch.1, confirmée au ch.5, concerne un androgyne, mâle et femelle il le crée, et comme pour les sages d'Israël, il est la réplique d'Élohims (je rappelle que le terme même d'Élohims, dieux, est un pluriel), celui-ci est donc androgyne, si je peux m'exprimer ainsi et pas un noble vieillard mâle, selon l'iconographie traditionnelle. Et ce qui est intéressant c'est que dans la 2e tradition (yahviste ou sacerdotale), YHWH n'est pas fixé sur l'aide qu'il veut donner au glébeux : un animal, un oiseau ? Les uns et les autres seront, à juste titre, refusés. Il faudra alors qu'il y ait la séparation du glébeux androgyne en deux, mâle et femelle, au cours d'un profond sommeil. Et le mot côté (et pas côte) employé par le rédacteur est le même que celui qui désigne le vantail d'une porte.
Et nous sommes là au cœur du problème, fusion/séparation, un seul humain mais deux êtres autonomes et sexués… Si Dieu lui-même a hésité, l'humain, à sa ressemblance, ne le pourrait-il lui aussi ? Mais la séparation était inéluctable pour que la création puisse se poursuivre, puisse être bénie…
Et il faudra la "faute", la connaissance du bien et du mal, pour que la femme dépasse son simple rôle d'aide, de compagne de l'homme et que Dieu fasse, lui, un geste maternel :
Ch 3,20, Le glébeux crie le nom de sa femme : Hava-la vivante. Oui, elle est la mère de tous les vivants.
21, YHWH fait à l'homme et à la femme des vêtements de peau et les en vêt.
C'est seulement maintenant qu'elle reçoit un nom propre Ève (Hava). Elle est désormais la vivante, la mère de tous les vivants, celle qui donne la vie.
Mais le plus étonnant pour nous qui sommes déformés par la crainte du "châtiment", c'est l'absence de toute condamnation tant pour la femme que pour l'homme. Ils ont mangé de l'arbre de la connaissance, ils ne peuvent donc plus demeurer dans le jardin d'Éden, mais c'est le serpent qui est maudit :
Ch.3,14 : Puisque tu as fait cela, tu es honni parmi toute bête, parmi tout vivant du champ.
Et étonnamment, aussi la terre qui a porté l'arbre :
3,17 : Au glébeux, il dit : Oui, tu as entendu la voix de la femme et mangé de l'arbre, Honnie est la glèbe à cause de toi, dans la peine tu en mangeras tous les jours de ta vie.
Pour en revenir au passage de l'Évangile cité ci-dessus, il faut bien remarquer le début : pour lui tendre un piège. D'une loi mosaïque, naturellement machiste, Jésus renvoie à l'ordre de la création : l'homme et la femme, égaux et complémentaires, forment l'humain, à la ressemblance de Dieu. Jésus conteste, d'abord, ce droit donné à l'homme de renvoyer sa femme, attestation ou pas. Il y a unité, équilibre, du couple humain, véritable sacralisation puisque c'est Dieu lui-même qui l'a uni dans sa création. La question du mariage viendra plus tard avec l'organisation de la société.
Pierre Rastoin