Invitation à la quête de la sagesse

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’époque est prolixe en textes qui décrivent le malheur des temps et les calamités de la modernité. La critique a ses fonctionnaires et ses carrières dont un des points communs est de se livrer à la militance de la réforme… des autres !

L’ouvrage que viennent de nous donner trois randonneurs des chemins spirituels nous surprend par sa fraîcheur, son humour et son humble attention aux pratiques les plus quotidiennes de la vie1.

Christophe André, médecin psychiatre, Alexandre Jollien, philosophe et Matthieu Ricard, moine bouddhiste, présentent ainsi leur travail : « Nous ne sommes que des voyageurs en quête de sagesse, conscients que le chemin est long et ardu, et qu’il nous reste tant de choses à découvrir, à élucider et à intégrer par la pratique. Les bûcherons de la compassion, les ferrailleurs de l’ego et les apprentis de la sagesse ont fait de leur mieux, avec joie et enthousiasme »2. Depuis longtemps, ils rêvaient d’écrire un livre ensemble. Ils se retrouvent pendant une dizaine de jours dans une maison du Périgord avec quelques amis et vont débattre de thèmes qui constituent des têtes de chapitre : Quelles sont nos aspirations les plus profondes ; L’ego ami ou imposteur ? Apprendre à vivre avec nos émotions ; Aux origines de la souffrance ; L’école de la simplicité ; L’art de l’écoute ; La culpabilité et le pardon ; Nos pratiques quotidiennes. Chaque chapitre se termine par des « conseils pratiques ».

Alexandre Jollien a vécu 17 ans dans une institution spécialisée pour personnes handicapées. Il est aujourd’hui écrivain et père de famille. Les stigmates de son handicap l’amènent à affronter quotidiennement le regard d’autrui. Pour lui, « même le plus grand progrès intérieur est vain s’il ne nous rend pas plus solidaires, s’il ne nous rapproche pas de notre prochain. Et la culture de soi peut vite sentir le renfermé si elle ne débouche pas sur une vraie générosité. L’ego est si doué et tordu qu’il récupère tout, ou presque. Il y a assurément un égoïsme spirituel. En oubliant les autres, nous nous cassons inévitablement la figure, nous instrumentalisons la voie même qui pourrait nous sauver »3.

À l’heure ou d’innombrables gourous de proposent de nous vendre les recettes du bonheur, le propos de Christophe André est d’une grande lucidité : « Ma conviction profonde, c’est que, pour les êtres ordinaires que nous sommes, et à l’exception de quelques sages, la joie, le bonheur, l’amour sont forcément des états labiles, qu’il ne nous est pas permis de ressentir d’une manière durable. Il est illusoire de vouloir les mettre en boîte : il faut accepter une fois pour toutes l’idée que nous sommes des intermittents du bonheur, de la joie, de l’amour et que c’est absolument normal. C’est pourquoi il faut s’attacher à les faire renaître régulièrement dans nos vies »4.

Matthieu Ricard dénonce l’individualisme narcissique qui mine nos sociétés. Il dit avec humour : « En fait, on devrait mettre Narcisse tout nu dans une forêt vierge et lui dire : Maintenant, débrouille-toi tout seul puisque tu es le meilleur ! » Pour lui, « la constatation de l’interdépendance de tous les êtres et de toutes les choses devrait continuellement nous remplir de gratitude. Comme les environnementalistes qui évaluent l’empreinte écologique d’un produit, nous pourrions évaluer l’empreinte de gratitude liée à ceux qui nous ont permis d’être ensemble aujourd’hui. On s’apercevrait peu à peu que cette gratitude devrait englober la terre entière »5.

Je laisserai le dernier mot à Alexandre Jollien : « Je trouve une sorte de libération à constater que tout est fragile. Enfin, je peux joyeusement renoncer à la stabilité, à la solidité, pour apprendre à nager dans l’impermanence. Si je cherche coûte que coûte une terre ferme où m’installer pour toujours, inexorablement je serai déçu. (…) L’expérience commune démontre aussi que, quoi que nous fassions, il y a toujours un truc qui cloche (…) Pratiquer la méditation, ce n’est pas s’extraire du monde, mais apprendre à cohabiter, à être en paix au milieu de ces grincements »6.

Bernard Ginisty

1 – Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard : Trois amis en quête de sagesse, L’Iconoclaste et Allary Éditions, 2016.
Christophe André est médecin psychiatre. Il a été un de premiers à introduire l’usage de la méditation en psychothérapie. Il est l’auteur, entre autres de Imparfaits, libres et heureux. Pratique de l’estime de soi, éditions Odile Jacob 2006 ; Méditer jour après jour. 25 leçons de pleine conscience, éditions l’Iconoclaste 2011 ; Et n’oublie pas d’être heureux. Abécédaire de psychologie positive, éditions Odile Jacob, 2014.
Alexandre Jollien est philosophe. Il a vécu dix-sept ans dans une institution pour personnes handicapées. Il a publié Éloge de la faiblesse, éditions du Cerf, 1999 (prix de l’Académie Française) ; Le Métier d’homme, éditions du Seuil, « Point Essais » n°705, 2013 ; Petit Traité de l’Abandon. Pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose, éditions « Points Essais » n°755, 2015.
Matthieu Ricard est moine bouddhiste depuis quarante ans. Il vit au Népal où il se consacre à des projets humanitaires. Il est le traducteur en français du Dalaï Lama. Il a publié entre autres Le Moine et le Philosophe, dialogue avec son père le philosophe, journaliste et académicien Jean-François Revel NIL, éditions 1997, ouvrage traduit en 21 langues ; Se changer, changer le monde, avec Christophe André, Jon Kabat-Zinn et Pierre Rahbi, éditions l’Iconoclaste, 2013 ; Plaidoyer pour les animaux, Allary éditions, 2014 ; Vers une société altruiste, avec Tania Singer, Allary éditions 2015.
2 – Id. page 477
3 – Id. page 15
4 – Id. page 143
5 – Id. page 90-92
6 – Id. page 104

Publié dans Réflexions en chemin

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